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longue discussion qu’elle vient de soulever ne laisse aucun doute à cet égard.

Le ministère s’est engagé, peut-être sans le vouloir, dans cette discussion, où poussé avec vigueur par ses adversaires, gêné personnellement par la fausse position de deux de ses membres, il a déchiré, avec dépit et par humeur, les derniers voiles dont jusqu’à ce jour il avait enveloppé sa pensée. La marche de cette discussion est vraiment curieuse, en ce qu’elle révèle combien un ministère est vacillant et embarrassé, quand il n’a pas des convictions profondes pour le diriger et le contenir au besoin. Ainsi on a vu le ministère commencer par poser en principe que la loi était nécessaire, fondant cette nécessité sur l’organisation des sociétés secrètes dont il faisait un terrible tableau ; puis atténuer cette nécessité, en déclarant que cette loi ne serait que temporaire, en assurant qu’il ne prétendait pas par là porter atteinte au droit de s’associer qui est imprescriptible, et la base même de la société. Ces prémisses posées, le ministère, croyant avoir tout fait, sûr de sa majorité, laissait sans inquiétude la discussion se développer, comptant bien faire adopter la loi sans avoir à s’expliquer davantage, et sans se voir forcé de sacrifier publiquement quelques-uns des principes libéraux qu’il a posés. Mais alors sont venues les attaques personnelles contre les deux membres du ministère qui ont fait jadis partie des associations, et les amendemens que le ministère n’avait pas prévus, mais auxquels il aurait dû s’attendre. À chaque amendement nouveau, il a fallu s’expliquer encore, et d’explication en explication, d’amendement en amendement, le ministère s’est trouvé, à la fin de la discussion, avoir renié et repoussé tous les principes qu’il avait arborés en proposant sa loi.

Cette discussion est assez importante pour qu’on trouve encore quelque intérêt à revenir sur toutes ses phases successives.

MM. Barthe et d’Argout, les auteurs véritables, M. Barthe surtout, le promoteur de la loi, sont venus les premiers à la tribune démontrer la nécessité d’un système de répression violente contre les associations. M. Barthe, qui connaît assez bien la nature et la vie intérieure des sociétés secrètes, s’est servi ensuite de ses anciens souvenirs pour peindre la société des Droits de l’homme. À son tour, M. Guizot, esprit fin et habile, qui n’avait pas approuvé cette loi dans le cabinet, dit-on, est venu se justifier, d’abord, d’avoir pris part à des associations politiques sous la restauration, et d’avoir enfreint, même sous le gouvernement actuel, alors qu’il était ministre, l’article 294 du code, que le ministère trouve aujourd’hui insuffisant. Il a bien fallu accuser l’opposition d’être la cause de ce dégoût qu’éprouvent aujourd’hui les ministres pour la liberté, mais on promettait en même temps que ce dégoût cesserait dès que l’opposition serait modérée