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une partie de ce dépôt sacré de civilisation et de dignité humaine qui lui a été remis entre les mains ; et serait-ce aller trop loin que de dire que les Hindous ont été pour elle ce qu’est la bête de somme à qui, après la fatigue du jour, on accorde la litière et le repos de la nuit, afin qu’elle puisse porter la charge du lendemain ? Nous ne le croyons pas, et la preuve, c’est que si aujourd’hui elle disparaissait de l’Inde, demain il ne resterait pas trace de son passage, et que l’Inde redeviendrait ce qu’elle était du temps d’Alexandre.

Cette absence de prosélytisme est précisément ce qu’admirent le plus les hommes qui veulent importer à Alger le régime de l’Hindoustan, sans songer que là où n’a pas lieu cette sublime communication de religion et de mœurs entre le vainqueur et le vaincu, entre le fort et le faible, il n’y a plus que simple superposition de deux peuples et exploitation plus ou moins brutale de l’un par l’autre. Quelques-uns poussent cette horreur du prosélytisme si loin, que non-seulement ils ne veulent pas qu’on fasse rien pour substituer dans la Régence le christianisme à la religion de Mahomet, mais encore qu’ils trouvent mauvais qu’on ait francisé les noms des rues d’Alger, et que la langue arabe cède le pas à la nôtre. Dans le grand fait accompli en 1830, ils paraissent n’avoir vu que la destruction d’un nid de pirates, un accroissement de territoire pour la France, et je ne sais quel échange de produits d’où doivent résulter pour nous de gros bénéfices. Nous croyons, au contraire, que sans l’esprit de prosélytisme sagement dirigé, ces avantages matériels eux-mêmes finiront par nous échapper un jour, et qu’il nous adviendra ce qui est arrivé à l’Espagne, qui, deux fois maîtresse d’Oran, l’a deux fois abandonné, en le vendant honteusement la seconde ; ou que, pour prix de tant de sang et de trésors, nous devrons nous estimer heureux s’il nous reste un point purement militaire, un nouveau Gibraltar. La solution de ces questions et de bien d’autres qui en découlent est, du reste, pendante en ce moment. Espérons que la commission qui vient d’examiner les lieux saura concilier à la fois les intérêts de la civilisation en général et l’honneur du pays.

L’ouvrage de M. Rozet doit être lu de tous ceux qui veulent se former une idée exacte du territoire d’Alger ; il est simplement