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REVUE DE VOYAGES.

lonisation appartiennent apparemment à quelqu’un, et, si vous les distribuez à des colons européens, que deviendront ceux qui les cultivent maintenant ou qui y paissent leurs troupeaux ? De deux choses l’une : ou ils se feront tuer en les défendant, ou, rejetés au-delà de l’Atlas, ils trouveront dans les déserts une mort inévitable. C’est là le véritable point de la question, celui que M. Rozet aurait à aborder franchement. Le gouvernement français, a-t-on dit récemment, n’a point de terres à donner à Alger, pas plus qu’il n’en aurait à distribuer en Espagne, où il y a aussi d’immenses terrains vagues, s’il en avait fait la conquête. Les biens qu’il a sous la main dans les environs d’Alger sont en petit nombre, et, hors ceux qui appartenaient au dey, sont simplement sous le séquestre et non pas irrévocablement confisqués. Ce fait, qui étonnera plus d’une personne, a été établi par M. Pichon dans son ouvrage cité plus haut, d’une manière qui nous paraît sans réplique. De là, sans doute, l’espèce d’hésitation qu’a mise jusqu’à ce jour le gouvernement à favoriser les entreprises particulières qui se sont présentées pour coloniser la Régence, et qui l’a fait accuser de vouloir l’abandonner quelque jour.

Puisque l’humanité s’oppose à ce que nous exterminions les habitans de la Régence, ou que nous les dépouillions de leurs terres, ce qui reviendrait au même, nous n’avons pas d’autre choix que celui d’adopter le système de douceur à leur égard : mais ici se présentent d’autres difficultés, et nous ne pouvons trouver juste la comparaison que font les partisans de ce système entre la tâche que nous avons à remplir à Alger et celle des Anglais dans l’Inde. Ces derniers ont eu bon marché d’un peuple timide qui n’a jamais su résister à aucun des conquérans qui ont voulu le soumettre, tandis que nous avons affaire à une race d’hommes indomptables qui ont fatigué jusqu’à la puissance romaine elle-même. Les exemples d’humanité qu’ils ont donnés dans ces derniers temps ne sont pas encore assez nombreux pour détruire une expérience de vingt siècles. Ensuite tout n’est pas tellement à admirer dans l’histoire de la domination anglaise dans l’Inde, qu’on puisse la proposer comme un modèle à suivre ; sans lui reprocher certaines pages de cette histoire qu’elle-même, au reste, voudrait pouvoir en retrancher, s’est-elle montrée bien ardente à communiquer aux Hindous