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dix-sept hommes à bord, dont quatre dangereusement blessés, et sa marche était nécessairement très lente ; aussi les pirogues le gagnèrent-elles promptement en vitesse. Aussitôt que les naturels furent à portée de fusil, nos hommes firent un feu meurtrier sur eux ; mais la chute de leurs compagnons, au lieu de détourner ces enragés de leur dessein, semblait les animer davantage. Le moment néanmoins approchait où leur curiosité sur les canons dont le pont de l’Antartic était couvert, allait être pleinement satisfaite. Ils avaient tant d’avantage sur le canot, que je commençais à regarder la destruction de celui-ci comme inévitable. Je fis virer la goëlette sur ses tables de manière à ce qu’elle présentât le flanc aux pirogues. Les canons étaient tous chargés à mitraille, et quand les naturels furent à portée, je fis signe à l’officier du canot de gouverner sur l’arrière de la goëlette, ce qui mit à découvert toutes les pirogues au nombre de vingt. Dans ce moment critique, l’Antartic ouvrit son feu sur la flotille des sauvages et lui envoya une grêle de mitraille qui mit deux pirogues littéralement en pièces. »

Une brise fraîche s’étant levée, le capitaine Morrell fit voile pour Manille, renforça son équipage, emprunta une somme considérable pour continuer sa pêche des biches de mer, et, prenant sa femme avec lui, retourna près de ces îles qu’il avait découvertes, et qu’il nomme, non sans raison, îles du massacre. Il eut d’abord à repousser une attaque aussi furieuse que la première, ce qu’il fit le plus humainement possible. Mais étant entré en négociation avec les chefs, il acheta d’eux une petite île sur laquelle il éleva une espèce de fort et une maison pour préparer les biches de mer. Les choses se passèrent ainsi amicalement pendant un certain temps. Dans cet intervalle de repos, le capitaine fut rejoint d’une manière inattendue par un matelot nommé Léonard Shaw, qui avait survécu au massacre de Wallace et de ses camarades, un chef qui lui avait fracturé le crâne d’un coup de casse-tête, l’ayant épargné pour en faire son esclave ; on l’avait obligé à aller nu et à se peindre le corps ; et au bout d’un certain temps, on lui avait ordonné de s’engraisser et de se mettre en état d’être mangé, car il paraît que ces naturels sont anthropophages. Le récit des souffrances de ce malheureux, tout sérieux qu’il est au fond, a un côté qui peut prêter à rire :