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FANTASIO.


Scène VII ET DERNIÈRE.

(Une prison.)
FANTASIO seul.

Je ne sais pas s’il y a une providence, mais c’est amusant d’y croire. Voilà pourtant une pauvre petite princesse qui allait épouser à son corps défendant un animal immonde, un cuistre de province à qui le hasard a laissé tomber une couronne sur la tête, comme l’aigle d’Eschyle sa tortue. Tout était préparé ; les chandelles allumées, le prétendu poudré, la pauvre petite confessée. Elle avait essuyé les deux charmantes larmes que j’ai vu couler ce matin. Rien ne manquait que deux ou trois capucinades pour que le malheur de sa vie fût en règle. Il y avait dans tout cela la fortune de deux royaumes, la tranquillité de deux peuples ; et il faut que j’imagine de me déguiser en bossu, pour venir me griser de rechef dans l’office de notre bon roi, et pour pêcher au bout d’une ficelle la perruque de son cher allié ! En vérité, lorsque je suis gris, je crois que j’ai quelque chose de surhumain. Voilà le mariage manqué, et tout remis en question. Le prince de Mantoue a demandé ma tête, en échange de sa perruque. Le roi de Bavière a trouvé la peine un peu forte, et n’a consenti qu’à la prison. Le prince de Mantoue, grâce à Dieu, est si bête, qu’il se ferait plutôt couper en morceaux que d’en démordre ; ainsi la princesse reste fille, du moins pour cette fois. S’il n’y a pas là le sujet d’un poème épique en douze chants, je ne m’y connais pas. Pope et Boileau ont fait des vers admirables sur des sujets bien moins importans. Ah ! si j’étais poète, comme je peindrais la scène de cette perruque voltigeant dans les airs ! Mais celui qui est capable de faire de pareilles choses, dédaigne de les écrire. Ainsi la postérité s’en passera.

(Il s’endort.)
(Entrent Elsbeth et sa gouvernante, une lampe à la main.)
ELSBETH.

Il dort, ferme la porte doucement.

LA GOUVERNANTE.

Voyez ; cela n’est pas douteux. Il a ôté sa perruque postiche ;