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la voie fatale où ils se jettent. Les uns, étonnés eux-mêmes de l’éclat et de l’audace de leur abjuration, cherchent à s’étourdir en reniant leur vie passée avec plus d’audace encore, et se vengent sur le pays tout entier du mépris qu’ils voient dans les regards de leurs anciens amis. M. Barthe, M. Thiers, savent de qui nous parlons. Les autres ont réellement et sincèrement fait pénitence des efforts qu’ils ont tentés autrefois en faveur de la liberté. Dans leur vie toute livrée à l’étude des théories, dans une longue existence politique qu’ils ont su rendre rêveuse et isolée, la connaissance véritable de l’homme, de la société actuelle, leur a échappé ; et, comme l’un d’eux l’avouait naïvement à la tribune, il y a peu de jours, se trouvant les mains trop faibles pour maintenir dans ses digues ce peuple qu’ils ont eu l’audace de vouloir gouverner, ils ont tourné leurs pensées vers l’illégalité, vers la force, vers ce qu’ils n’osent encore nommer, vers le despotisme. Que M. de Broglie le nomme nécessité, que M. Guizot l’appelle une ressource passagère qu’on abandonnera il ne sait quand, peu importe. Ils y courent néanmoins de toutes leurs forces, en invoquant tout bas le grand nom de Bonaparte que Mme de Staël leur avait appris à maudire. Derrière eux, au troisième rang, vient M. Soult, qui apporte sa pierre à l’édifice ministériel, et qui, de son côté, organise à petits coups le despotisme sous le nom de discipline. Puis M. d’Argout qui admire aussi Bonaparte à sa manière, et pour qui l’empire n’a pas de plus beaux souvenirs que ceux de Savary et de Fouché qu’il espère bien faire oublier un jour. Enfin, les suivant de loin, M. de Rigny et M. Humann s’accommoderaient de tout, et particulièrement d’un ministère sans contrôle. Voilà le pouvoir que la nation, représentée par ses députés, appuie de ses votes et de ses subsides.

Le ministère n’est cependant pas content de la chambre. Il a hâte d’arriver aux élections, et il en espère de meilleurs résultats. La chambre actuelle, dit le ministère, n’est bonne que lorsqu’elle a peur, et c’est un sentiment qu’il n’est pas toujours facile d’exciter, qui coûte cher à entretenir, et qui perd d’ailleurs de sa vivacité quand il est employé trop souvent. Quand on ne lui fait pas une émeute, quand on ne lui déroule ni déclarations de la société des droits de l’homme, ni circulaire des sections ; quand on se dispense pendant huit jours seulement de lancer M. Persil ou M. Barthe à la tribune, la chambre profite de son loisir pour examiner le budget, pour vérifier les dépenses de chaque ministère ; elle s’informe, elle prétend juger, elle veut des pièces et des explications souvent impossibles à donner. C’est alors un embarras que cette chambre, et il ne reste d’autre alternative que celle de la dissoudre ou de l’épouvanter. Dernièrement encore, avant que les assommeurs ne vinssent faire une