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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

soi-même, et si l’on ne se connaît pas parfaitement, on se doute bien au moins de quelque chose. »

Eugénie et Mathilde, que nous avons déjà beaucoup cité, est le plus long et le plus soutenu des ouvrages de l’auteur, toujours Eugène et Adèle à part. L’auteur y a représenté au complet l’intérieur d’une famille noble pendant les années de la révolution. Eugénie, qui a été forcée de quitter son couvent, et qui devient comme l’ange tutélaire des siens, attire constamment et repose le regard avec sa douce figure, sa longue robe noire, ses cheveux voilés de gaze, sa grande croix d’abbesse si noblement portée ; il y a un bien admirable sentiment entrevu, lorsqu’étant allée dans le parc respirer l’air frais d’une matinée d’automne, tenant entre ses bras le petit Victor, l’enfant de sa sœur, qui, attaché à son cou, s’approche de son visage pour éviter le froid, elle sent de vagues tendresses de mère passer dans son cœur ; et le comte Ladislas la rencontre au même moment. Ce qu’Eugénie a senti palpiter d’obscur, il n’est point donné à des paroles de l’exprimer, ce serait à la mélodie seule de le traduire.

Dans Eugénie et Mathilde, Mme de Souza s’est épanchée personnellement plus peut-être que partout ailleurs. Je n’ai jamais lu sans émotion une page que je demande la permission de citer pour la faire ressortir. C’est le cri du cœur de bien des mères sous l’Empire, que Mme de Souza, par un retour sur elle-même et sur son fils, n’a pu s’empêcher d’exhaler. Mme de Revel, malheureuse dans son intérieur, se met à plaindre les mères qui n’ont que des filles, parce qu’aussitôt mariées, leurs intérêts et leur nom même séparent ces filles de leur famille. Pour la première fois depuis la naissance de Mathilde, elle regrettait de n’avoir pas eu un fils : « Insensée ! s’écrie Mme de Souza interrompant le récit, comme alors ses chagrins eussent été plus graves, ses inquiétudes plus vives ! Pauvres mères, vos fils dans l’enfance absorbent toutes vos pensées, embrassent tout votre avenir, et lorsque vous croyez obtenir la récompense de tant d’années en les voyant heureux, ils vous échappent. Leur active jeunesse, leurs folles passions les emportent et les égarent. Vous êtes ressaisies tout à coup par des angoisses inconnues jusqu’alors.

« Pauvres mères ! il n’est pas un des mouvemens de leur cœur