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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

Rieux quelque part absent, on entrevoit cette figure mélancolique et sévère du père d’Eugène ; et si l’on rentre au salon, cette tendresse des deux amans s’en vient retomber comme une guirlande incertaine autour du fauteuil aimable à la fois et redoutable de la vieille maréchale qui raille et sourit, et pose des questions sur le bonheur, un Labruyère ouvert à ses côtés.

Marie-Joseph Chénier a écrit sur Mme de Souza, avec la précision élégante qui le caractérise, quelques lignes d’éloges applicables particulièrement à Eugène. « Ces jolis romans, dit-il, n’offrent pas, il est vrai, le développement des grandes passions, on n’y doit pas chercher non plus l’étude approfondie des travers de l’espèce humaine ; on est sûr au moins d’y trouver partout des aperçus très fins sur la société, des tableaux vrais et bien terminés, un style orné avec mesure, la correction d’un bon livre et l’aisance d’une conversation fleurie,… l’esprit qui ne dit rien de vulgaire et le goût qui ne dit rien de trop. » Mais indépendamment de ces louanges générales, qui appartiennent à toute une classe de maîtres, il faut dire d’Eugène de Rothelin qu’il peint le côté d’un siècle, un côté brillant, chaste, poétique, qu’on n’était guère habitué à y reconnaître. Sous ce rapport, le joli roman cesse d’être une œuvre individuelle et isolée, il a une signification supérieure ou du moins plus étendue.

Mme de Souza est un esprit, un talent qui se rattache tout-à-fait au xviiie siècle. Elle en a vu à merveille et elle en a aimé le monde, le ton, l’usage, l’éducation et la vie convenablement distribuée. Qu’on ne recherche pas quelle fut sur elle l’influence de Jean-Jacques ou de tel autre écrivain célèbre, comme on le pourrait faire pour Mme de Staël, pour Mme de Krudener, pour Mmes Cottin ou de Montolieu. Mme de Flahaut était plus du xviiie siècle que cela, moins vivement emportée par l’enthousiasme vers des régions inconnues. Elle s’instruisit par la société, par le monde ; elle s’exerça à voir et à sentir dans un horizon tracé. Il s’était formé dans la dernière moitié du règne de Louis xvi, et sous l’influence de Mme de Maintenon particulièrement, une école de politesse, de retenue, de prudence décente jusque dans les passions jeunes, d’autorité aimable et maintenue sans échec dans la vieillesse. On était pieux, on était mondain, on était bel esprit, mais tout cela