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un frère ou une sœur inattendue à cette famille encore moins admirée que chérie ; il ne mourra pas tout entier !

Eugène de Rothelin, publié en 1808, paraît à quelques bons juges le plus exquis des ouvrages de Mme de Souza, et supérieur même à Adèle de Sénange. S’il fallait se prononcer et choisir entre des productions presque également charmantes, nous serions bien embarrassé vraiment ; car, si Eugène de Rothelin nous représente le talent de Mme de Souza dans sa plus ingénieuse perfection, Adèle nous le fait saisir dans son jet le plus naturel, le plus voisin de sa source et, pour ainsi dire, le plus jaillissant. Pourtant, comme art accompli, comme pouvoir de composer, de créer en observant, d’inventer et de peindre, Eugène est une plus grande preuve qu’Adèle. En appliquant ici ce que j’ai eu l’occasion de dire ailleurs au sujet de l’auteur d’Indiana et de Valentine, chaque ame un peu fine et sensible, qui oserait écrire sans apprêt, a en elle-même la matière d’un bon roman. Avec une situation fondamentale qui est la nôtre, situation qu’on déguise, qu’on dépayse légèrement dans les accessoires, il y a moyen de s’intéresser à peindre comme pour des mémoires confidentiels et d’intéresser à notre émotion les autres. Le difficile est de récidiver lorsqu’on a dit ce premier mot si cher, lorsqu’on a exhalé sous une enveloppe plus ou moins trahissante ce secret qui parfume en se dérobant. Dans Adèle de Sénange la vie se partage en deux époques, un couvent où l’on a été élevée dans le bonheur durant des années, un mariage heureux encore, mais inégal par l’âge. Dans Eugène de Rothelin, l’auteur n’en est plus à cette donnée à demi personnelle et la plus voisine de son cœur ; ce n’est plus une toute matinale et adolescente peinture où s’échappent d’abord et se fixent vivement sur la toile bien des traits dont on est plein. Ici c’est un contour plus ferme, plus fini, sur un sujet plus désintéressé ; l’observation du monde y tient plus de place, sans que l’attendrissement y fasse faute ; l’affection et l’ironie s’y balancent par des demi-teintes savamment ménagées. La passion ingénue, coquette parfois, sans cesse attrayante, d’Athenaïs et d’Eugène, se détache sur un fond inquiétant de mystère ; même quand elle s’épanouit le long de ces terrasses du jardin ou dans la galerie vitrée, par une matinée de soleil, on craint M. de