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première chose que fait maintenant l’esprit du lecteur, c’est de dépouiller le mannequin, c’est de démonter la machine et de chercher la poésie seule dans l’œuvre poétique, et de chercher aussi l’ame du poète sous sa poésie. Mais sera-t-elle morte pour être plus vraie, plus sincère, plus réelle qu’elle ne le fut jamais ? Non sans doute, elle aura plus de vie, plus d’intensité, plus d’action qu’elle n’en eut encore ! Et j’en appelle à ce siècle naissant qui déborde de tout ce qui est la poésie même, amour, religion, liberté ? et je me demande s’il y eut jamais dans les époques littéraires un moment si remarquable en talens éclos, et en promesses qui écloront à leur tour ? Je le sais mieux que personne, car j’ai été souvent le confident inconnu de ces mille voix mystérieuses qui chantent dans le monde ou dans la solitude, et qui n’ont pas encore d’écho dans leur renommée ; non, il n’y eut jamais autant de poètes et plus de poésie qu’il n’y en a en France et en Europe, au moment où j’écris ces lignes, au moment où quelques esprits superficiels ou préoccupés s’écrient que la poésie a accompli ses destinées, et prophétisent la décadence de l’humanité ! Je ne vois aucun signe de décadence dans l’intelligence humaine, aucun symptôme de lassitude ni de vieillesse ; je vois des institutions vieillies qui s’écroulent, mais des générations rajeunies que le souffle de vie tourmente et pousse en tous sens, et qui reconstruiront sur des plans inconnus cette œuvre infinie que Dieu a donné à faire et à refaire sans cesse à l’homme, sa propre destinée. Dans cette œuvre, la poésie a sa place, quoique Platon voulût l’en bannir ! C’est elle qui plane sur la société et qui la juge, et qui, montrant à l’homme la vulgarité de son œuvre, l’appelle sans cesse en avant, en lui montrant du doigt des utopies, des républiques imaginaires, des cités de Dieu, et lui souffle au cœur le courage de les tenter, et l’espérance de les atteindre !

À côté de cette destinée philosophique rationnelle, politique, sociale, de la poésie à venir, elle a une destinée nouvelle à accomplir, elle doit suivre la pente des institutions et de la presse, elle doit se faire peuple et devenir populaire comme la religion, la raison et la philosophie. La presse commence à pressentir cette œuvre, œuvre immense et puissante qui, en portant sans cesse à tous la pensée de tous, abaissera les montagnes, élèvera les vallées.