Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/689

Cette page a été validée par deux contributeurs.
677
HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

Il ne faut donc pas croire que Mozart ait réalisé ce qui est impossible : la fusion de deux génies séparés l’un de l’autre par une nationalité profonde. Il n’a pas réconcilié, comme on le dit, l’Allemagne avec l’Italie ; il a laissé aux deux peuples qu’il avait sérieusement étudiés les traits distinctifs qui les caractérisent. Dire que Mozart est Italien, c’est dire que Rubens appartient à l’école vénitienne. N’est-il pas plus simple et plus vrai de voir dans l’artiste allemand un homme nouveau qui ne relève de personne, mais qui a mis à profit ses lectures et ses méditations, qui a pris, dans les écoles musicales de deux pays, ce qui convenait aux instincts de sa nature, qui a dérobé, par un travail patient, les richesses enfouies dans ces deux mines si diversement colorées, mais qui, dans ses voyages intellectuels, a toujours conservé l’inaltérable personnalité de sa pensée. Si Mozart avait opéré la fusion qu’on lui attribue, il ne mériterait qu’une estime médiocre ; ce serait un homme habile, et rien de plus. Mais il n’en a rien fait, comme il est facile de s’en convaincre ; il a mis la science au service de la fantaisie, il a fait, sous une autre forme, ce que faisait Michel-Ange lorsqu’il témoignait de ses études anatomiques dans le carton de la guerre des Pisans. Au lieu de mettre l’orchestre sur le théâtre, comme l’ont tenté quelques harmonistes maladroits, il n’a vu dans l’instrumentation qu’un moyen de traduire, sous une forme plus complète et plus puissante, l’idée mélodique qui préexiste chez lui à toutes les phrases de son orchestre.

La manière dont il a conçu tous les accompagnemens de ses chants sera pour les musiciens de tous les temps un sujet éternel d’admiration et d’étude. Ses parties instrumentales, sans jamais s’atténuer jusqu’à la maigreur, sont toujours subordonnées à la partie vocale, et l’enrichissent constamment sans jamais la couvrir au point de l’effacer.

J’admire autant que personne ce qu’on a justement appelé le dialogue de l’orchestre ; c’est une belle chose, et très savante, que de livrer alternativement aux flûtes et aux violons un thème, qui, en se transformant, s’explique et révèle à l’auditoire des secrets inattendus ; oui, mais cette habileté devient puérile, lorsqu’elle s’isole du premier devoir de l’artiste, lorsqu’au lieu d’obéir, elle domine, lorsqu’au lieu de concourir à l’unité poétique du drame