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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

der dans les routes plus étroites où le pied seul du poète peut marquer son empreinte sans trébucher.

Mozart me paraît avoir admirablement compris les limites de la musique dramatique. Il a écrit dans sa vie plusieurs symphonies, et beaucoup d’admirables. Il a composé pour les instrumens à cordes et les instrumens à vent des morceaux d’une facture spéciale, mais il s’est profondément pénétré des ressources et des convenances de la scène, et on n’a pas à lui reprocher, comme à Spohr ou à Beethowen dans Faust et Fidelio, d’avoir attribué à la voix humaine le rôle de l’instrumentiste et de l’orchestre.

Don Juan était un sujet difficile qui admettait et demandait l’expression de sentimens variés et distincts. Ce sujet traité selon la manière des musiciens français du xviiie siècle, ou des compositeurs italiens du xixe, n’aurait pas eu le caractère musical que nous lui connaissons. Nous aurions eu une déclamation obscure ou une orgie bruyante, un récitatif morcelé ou bien une assourdissante bacchanale. Mozart n’a rien fait de tout cela. Il a mieux fait. Voyons pourquoi.

Et d’abord que signifie le caractère de don Juan ? Molière, Byron et Hoffman l’ont compris diversement : lequel des trois a raison ? Dans Molière, don Juan est un gentilhomme libertin, vantard, fanfaron, ivrogne, endetté. On a dit que le dernier trait était de trop. Je ne suis pas de cet avis. On peut mener une vie joyeuse, magnifique et dissolue, et dormir entre les bras des courtisanes dans un somptueux palais, tandis que les créanciers grelottent à la porte. Il n’y a rien de mesquin ni d’absurde, poétiquement parlant, à dévorer, dans une couche embaumée, les châteaux et les prairies que l’on n’a plus, à boire dans une coupe savoureuse une fortune engagée trois fois à des usuriers imbéciles. Cet embarras, très grave pour les économistes, n’a rien de sérieux pour un libertin effréné. Si la carrière de débauche en devient plus courte et plus étroite, elle n’est pas pour cela moins folle et moins rapide. Un homme à qui personne, je l’espère, ne voudra contester son titre de gentilhomme, et qui mettait l’âge de son blason bien au-dessus de sa gloire personnelle, l’auteur de Lara, avant de dire adieu à la pruderie hypocrite de l’Angleterre, et d’aller distraire son égoïsme blasé parmi les filles ardentes de Cadiz et de Lisbonne,