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Titus, pour les fêtes du couronnement de l’empereur. Au moment où il se disposait à monter en voiture avec sa femme, l’inconnu se présenta à la portière comme un spectre, tira Mozart par le pan de son habit, et lui demanda le Requiem. Mozart s’excusa, en alléguant la nécessité de partir subitement, et promit de l’achever à son retour. Il travailla à son opéra dans la voiture, pendant tout le voyage, et l’acheva dix-huit jours après son arrivée. À son retour, il tomba sérieusement malade, et s’écria plusieurs fois, les larmes aux yeux, qu’on l’avait empoisonné. Il continuait cependant de composer son Requiem, en disant qu’il servirait à ses funérailles. Ce travail l’affecta tellement et augmenta si fort ses idées sombres, qu’il fallut lui arracher la partition des mains. Le jour de sa mort, il se la fit apporter de nouveau sur son lit, la parcourut plusieurs fois en versant des larmes, indiqua à son ami Sussmaier la manière de la terminer, et s’écria : « N’avais-je pas raison de dire que j’écrivais pour moi ce Requiem ? » Ce fut le dernier adieu qu’il adressa à son art chéri. Il mourut en tenant cette partition dans sa main. Son dernier mouvement fut d’enfler ses joues pour indiquer le passage du Requiem où il fallait placer les trombones.

Aussitôt après sa mort, l’inconnu se présenta dans la maison, demanda le Requiem tel qu’il était, et l’emporta. Tous les efforts qu’on fit depuis pour connaître cet homme furent inutiles.

Mozart fut enseveli dans le cimetière de l’église Saint-Marx, son corps jeté dans la fosse commune, ses ossemens confondus avec les ossemens de la classe la plus obscure et la plus pauvre ; et en 1808, quand on voulut les retrouver et les placer sous une tombe digne de lui, il fut impossible de les reconnaître. Misérable fin après une misérable vie !

Les restes de Mozart pourrissent ignorés dans le coin d’un cimetière de Vienne ; mais depuis quarante ans le monde entier écoute religieusement ses derniers accens, et aujourd’hui même, Paris, cette ville où Mozart fut si méconnu, où on le laissa se geler dans les antichambres, où l’on ne daignait pas mettre d’accord le piano sur lequel il exécutait ses immortelles pensées, Paris, après avoir admiré depuis tant d’années son chef d’œuvre, se prépare à accourir tout entier pour l’entendre de nouveau et le voir représenté avec une magnificence digne de l’œuvre et de l’enthousiasme qu’elle