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FANTASIO.

ELSBETH.

En vérité, tu te moques de moi avec un rare acharnement.

FANTASIO.

Point du tout. Mon serin a une petite serinette dans le ventre. On pousse tout doucement un petit ressort sous la patte gauche, et il chante tous les opéras nouveaux, exactement comme Mlle Grisi.

ELSBETH.

C’est une invention de ton esprit, sans doute ?

FANTASIO.

En aucune façon. C’est un serin de cour ; il y a beaucoup de petites filles très bien élevées qui n’ont pas d’autres procédés que celui-là. Elles ont un petit ressort sous le bras gauche, un joli petit ressort en diamant fin, comme la montre d’un petit maître. Le gouverneur ou la gouvernante fait jouer le ressort, et vous voyez aussitôt les lèvres s’ouvrir avec le sourire le plus gracieux ; une charmante cascatelle de paroles mielleuses sort avec le plus doux murmure, et toutes les convenances sociales, pareilles à des nymphes légères, se mettent aussitôt à dansoter sur la pointe du pied autour de la fontaine merveilleuse. Le prétendu ouvre des yeux ébahis : l’assistance chuchote avec indulgence, et le père, rempli d’un secret contentement, regarde avec orgueil les boucles d’or de ses souliers.

ELSBETH.

Tu parais revenir volontiers sur de certains sujets. Dis-moi, bouffon, que t’ont donc fait ces pauvres jeunes filles, pour que tu en fasses si gaîment la satire ? Le respect d’aucun devoir ne peut-il trouver grace devant toi ?

FANTASIO.

Je respecte fort la laideur, c’est pourquoi je me respecte moi-même si profondément.

ELSBETH.

Tu parais quelquefois en savoir plus que tu n’en dis. D’où viens-tu donc, et qui es-tu, pour que depuis un jour que tu es ici, tu saches déjà pénétrer des mystères que les princes eux-mêmes ne soupçonneront jamais ? Est-ce à moi que s’adressent tes folies, ou est-ce au hasard que tu parles ?