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mettre quelque chose de beau dans la gazette. Il dit à Wolfgang en quels lieux il doit porter sa croix de chevalier de l’ordre du pape, en quels autres il sera bon de la mettre dans sa poche. Il lui recommande de ne pas oublier de faire toujours mettre par les valets d’auberge des embouchoirs de bois dans ses bottes, et il renouvelle plusieurs fois cette importante recommandation. Il lui rappelle que les batzen de cuivre de Saltzbourg cessent d’avoir cours à Munich. Enfin il n’oublie rien, il a tout prévu, et il semble que Mozart pourrait aller, les yeux fermés, de Saltzbourg à Paris, en tenant à la main la lettre de son père. Celui-ci se félicite déjà des succès de son fils, qu’il a préparés avec tant de prudence, lorsque tout à coup le désespoir s’empare de lui. En jetant un regard dans sa chambre, le vieux Mozart s’est aperçu qu’il manque à son fils une chose essentielle. Wolfgang a oublié sa culotte de satin, couleur gris de brochet. Une culotte faite pour être mise avec un habit pareil ! Vous ne pouvez vous peindre l’anxiété de ce bon père. Si la goutte ne le retenait dans son fauteuil, il irait volontiers lui-même à Paris porter à son fils ce vêtement nécessaire. En effet, comment Mozart a-t-il osé se présenter à Paris sans sa culotte gris de brochet !

Cependant Mozart, guidé par la main paternelle, s’acheminait doucement et sans inquiétude vers la France. Il est vrai que ses prétentions n’étaient pas grandes. Plusieurs fois en route il s’arrêta pour offrir ses services à des princes allemands ; mais il fut refusé partout, souvent même avec dureté. Ce fut l’électeur de Bavière qui le traita avec le plus de dédain. Mozart lui offrait d’écrire pour tous les chanteurs qu’il lui plairait de faire venir de France, d’Allemagne et d’Italie. Il s’engageait à jouer tous les jours dans les concerts de la cour, et à composer tous les ans quatre opéras, deux sérias et deux bouffes. Pour toutes ces choses, il demandait un salaire de trois cents florins, environ mille francs. Il n’exigeait pas même d’être admis à la table des domestiques. Il n’avait pas encore tant d’ambition ! — « D’ailleurs, mes repas ne coûtent pas cher, écrivait-il au comte Seau, maréchal de la cour. Mon appétit est très mince ; je bois de l’eau, et un seul petit verre de vin avec le fruit. » Le prince et son maréchal trouvèrent que Mozart n’était pas raisonnable, et que demander mille francs pour quatre opéras