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faire connaître le caractère de ce livre, écrit souvent avec énergie et toujours avec bonheur. M. Royer, qui conçoit les choses en grand, annonce dans une préface que ce livre n’est que la première partie d’un grand travail, et que deux autres parties succéderont à celle-ci. Dans ce roman, l’auteur a placé son personnage à l’âge des illusions, au milieu des brillantes merveilles de Venise. Il le suivra dans l’âge mûr, sous un autre ciel, et peindra alors le Tyrol, qu’il a aussi parcouru en artiste ; puis il le montrera dans la vieillesse, au milieu des tristes et misérables populations moldaves et valaques, ce théâtre de guerres éternelles que M. Royer, voyageur infatigable, a étudié au prix de mille souffrances.

Après avoir rendu justice au talent de M. Royer, nous ne dissimulerons pas la faiblesse de sa fable. Ce tissu, un peu lâche, sera sans doute plus serré et plus vigoureux dans les autres parties.


Les Souvenirs de la marquise de Créquy viennent de paraître[1]. Ils s’étendront de 1710 à 1800, car Mme de Créquy, ainsi que nous l’apprend son éditeur, est morte à peu près centenaire. Elle habitait, dit-il, un hôtel de la rue de Grenelle-Saint-Germain, qu’elle avait acheté à vie du marquis de Feuquières, dont elle a joui soixante-dix ans. Elle était depuis quarante ans d’une santé déplorable, et c’est à cette circonstance qu’elle attribuait le bon marché de son acquisition, dont elle eut la malice de s’applaudir jusqu’à sa mort.

La notice que donne l’éditeur sur Mme de Créquy est curieuse. Il assure que Jean-Jacques Rousseau disait d’elle : C’est le catholicisme en cornette et la haute noblesse en déshabillé. Ce mot peint parfaitement l’esprit de ces mémoires. Il est impossible de trouver une femme plus spirituelle que cette Mme de Créquy, telle que l’a faite son éditeur anonyme ; elle est inépuisable en bons contes et en anecdotes, elle sait le secret de toutes les familles, elle connaît le néant de toutes les généalogies. Ainsi que Saint-Simon pour lequel elle montre peu de considération, elle n’admet d’autre noblesse que la sienne, d’autre illustration que celle de ses aïeux. Toutes ces histoires sont recouvertes d’un certain vernis d’authenticité, soutenues par une aisance de vieille cour, par un langage si franc et si gothique, tout cela sent si bien le lieu et l’époque, le commencement du dernier siècle et les anciens salons des hôtels du faubourg Saint-Germain, que l’esprit le plus incrédule se laisse prendre à chaque mot, et que le lecteur le mieux prévenu croit réellement entendre la voix aiguë et tremblante de la vieille et illustre douai-

  1. Un vol.  in-8o. Fournier, rue de Seine, 14.