Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/557

Cette page a été validée par deux contributeurs.
545
ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

tout, hormis de l’art et de l’histoire. Cette magnifique indifférence sur ce qui le touche est sensible par la manière dont il parle de lui-même. La désagréable affaire d’Amphipolis est contée avec une brève simplicité ; en un endroit, il parle de sa fortune et des soins qu’il met à écrire son histoire ; quand il décrit la peste d’Athènes, il dit pouvoir en parler pertinemment, ayant été malade lui-même, αῦτός τε νοσησας, et ayant vu souffrir les autres. Il y a tel écrivain moderne qui, dans une semblable conjoncture, si par exemple il eût eu le choléra, aurait fait de sa propre maladie cinq à six pages. Thucydide passa vingt ans dans l’exil ; a-t-il fini ses jours en Thrace ou dans Athènes ? Sa mort fut-elle naturelle et paisible ou tragique et violente ? Il est difficile, au milieu des témoignages discordans de Plutarque, de Pausanias, de Marcellin et du biographe anonyme, d’élever ces points à la certitude historique. Mais il nous paraît vraisemblable qu’il a terminé ses jours dans Athènes quel qu’en ait été le dénouement, la mort le surprit au moment où il terminait le huitième livre de son histoire ; ses héritiers confièrent le précieux manuscrit à Xénophon qui dut honorer la vieillesse de Thucydide par une respectueuse amitié, se fit son éditeur[1] et le continua. Les Helléniques du disciple de Socrate commencent où finit l’histoire de Thucydide, et par ces mots : μετὰ δέ ταῦτα. Les anciens aimaient à s’enchaîner les uns aux autres, à se continuer : ils sentaient combien il y a de grandeur et de puissance à ourdir dans les affaires humaines, par l’action ou la pensée, une trame commune. Il ne paraît pas que Thucydide ait joui de sa gloire dans l’esprit de ses contemporains ; mais il en a joui dans sa propre conscience : Κτῆμα είς ἀεὶ est fameux ; l’historien sent qu’il écrit pour l’éternité : pourquoi ne le dirait-il pas ?

L’histoire de la guerre du Péloponèse s’ouvre par une exposition préliminaire des origines et des commencemens de la Grèce : les émigrations fréquentes dont toutes les régions de l’Hellade, sauf l’Attique, furent le théâtre, la condition des Grecs avant leur coalition contre les Troyens, la vraisemblance de leurs forces d’après la nature et la durée de l’expédition, la Grèce revenue dans

  1. Voyez l’excellent article de M. Letronne sur Xénophon dans la Biographie Universelle.