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qui tombent en ruines quelqu’une de ces pensées bienveillantes où il sait si bien allier le regret et l’encouragement.

Les Élévations d’Alfred de Vigny ne resteront pas non plus étrangères à cette métamorphose de la poésie lyrique. Je m’assure que l’histoire tiendra quelque place dans ces nouveaux poèmes. Si les évènemens auxquels nous avons assisté depuis quinze ans ne s’y réfléchissent pas comme dans le journal écrit par un homme d’état sous la dictée de ses ambitions, au moins y verrons-nous les passions et les idées que ces évènemens représentent.

Et vous, mon ami, dans vos poésies politiques qui sans doute ne se feront pas long-temps attendre, vous serez amené à modifier le cercle ordinaire de vos pensées. Je n’entends pas ici parler de l’altération progressive de vos opinions sur les hommes et sur les choses : je me suis souvent dit et je me dis encore qu’en pareille matière l’extrême conséquence pourrait bien n’être, après tout, que la perpétuité du mensonge. Puisque les affections humaines s’évanouissent et se succèdent, et se prétendent toujours à bon droit loyales et sincères, pourquoi les idées ne subiraient-elles pas les mêmes changemens ? Ce n’est pas moi qui vous reprocherai d’avoir cru aux promesses de la vieille monarchie, d’avoir été cavalier jusqu’au jour où la crédulité n’était plus possible sans aveuglement. Non, le changement que je prévois est d’une autre nature. Vous prendrez à la lutte sociale une part plus directe et plus active. Vous ne pourrez plus, comme autrefois, vous glorifier dans l’anathème et le dédain ; la vie publique vous atteindra, et vous serez forcé de mêler à vos tristesses les conseils et les espérances.


L’avenir du roman et du théâtre se dessine encore plus nettement que celui de la poésie lyrique. Comme ces deux formes de la fantaisie s’adressent plus directement à la foule, force leur sera bien d’entendre et de satisfaire les besoins et les volontés de la foule.

Or, quels sont ces besoins ? N’est-il pas évident pour tous les observateurs de bonne foi que le roman et le théâtre ont épuisé la poésie matérielle et que le temps est venu d’entamer une autre face de l’humanité ? N’est-il pas évident que toutes les classes élevées de la société n’accueillent plus maintenant que par l’indifférence et