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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

à la fois de la réalité anecdotique et des beautés les plus élevées de la poésie.

Lélia, si diversement jugée par la foule, a survécu, comme on devait s’y attendre, aux excommunications et aux apothéoses : je laisse à de plus habiles à décider pourquoi l’odeur de l’encens a causé tant d’ivresses mortelles. Conrad, Lara et Manfred ont légué à Lélia leurs inépuisables tristesses ; mais la douleur, en descendant sur les lèvres d’une femme, est devenue plus incisive et plus saignante ; l’isolement et le blasphème dévolus à celle qui devait se confier dans l’espérance d’un monde meilleur, et se résigner aux épreuves des affections humaines, impriment à cette mélodieuse élégie un caractère singulièrement nouveau.

La contradiction apparente, qui sépare Indiana et Valentine de Lélia, se réconcilie très bien par la réflexion. Il ne faut pas une sagacité bien pénétrante pour suivre la transition de la faiblesse maudissant l’égoïsme au cœur confiant qui se livre après avoir long-temps résisté, mais qui bientôt, désabusé des joies qu’il avait rêvées, se réfugie dans le dédain et l’ironie.

Quelle sera la destinée de ce poète nouveau qui, en deux ans, a conquis une place si haute ? Après l’achèvement de cette mystérieuse trilogie, retournera-t-il aux réalités de la vie domestique, ou bien voudra-t-il tenter des voies nouvelles, et se délasser de ses premières inventions par de capricieuses fantaisies ? Je ne sais. Dans le cycle intellectuel, cette rénovation serait un progrès naturel et logique. Quoi qu’il arrive, l’auteur de ces beaux livres peut se reposer impunément et sommeiller à ses heures, sans craindre nos reproches. Qu’il soit ce qu’il lui plaira d’être, nos yeux ne quitteront pas la route et suivront la poussière de ses pas.

Eh bien ! quel sera le roi du roman ?

iii.

Après ce rapide résumé de notre situation poétique, n’est-il pas permis de hasarder un ensemble de conjectures sur la destinée prochaine des formes diverses de l’imagination ? Faudra-t-il croire,