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Ces deux caractères sont admirablement tracés, et se réalisent dans l’action avec une netteté peu commune.

Le style de Mérimée, dans ce roman, est d’une remarquable concision, mais en même temps d’une riche contenance.

Quoique le cadre de cette chronique soit emprunté à l’histoire, cependant les figures historiques y sont rares. Mais celles qui paraissent sont indiquées par des silhouettes vives et hardies. Charles ix, tel que Mérimée nous le donne, s’accorde très bien pour la chétiveté de ses vues et l’étroit horizon de sa pensée avec la tête que nous avons au Louvre. Il a tiré de ce portrait ce qu’on en pouvait tirer. Il a retrouvé l’homme sous le marbre.

Ce que Mérimée dit de la Saint-Barthélemy a semblé à quelques esprits graves un paradoxe ingénieux. Mais beaucoup ont refusé de voir dans cette interprétation toute nouvelle, une pensée loyale et sincère. Pour moi, je l’avouerai, je ne me refuse pas à la théorie du chroniqueur. Je ne crois pas que Charles ix fût capable de projets long-temps médités. J’incline à soupçonner qu’il a pu résoudre un massacre comme une partie de chasse. Cette théorie doit être prise pour ce qu’elle vaut, ce n’est ni une apologie ni une accusation, c’est une vue contestable, mais qui ne manque pas de vraisemblance.

Quel que soit l’avis du lecteur érudit sur les opinions historiques et morales de Mérimée, nous aurions à regretter une scène du premier ordre, si l’auteur eût placé son récit dans une autre année que celle de la Saint-Barthélemy. Quand Mergy veut quitter sa maîtresse, et que Diane, après avoir vainement essayé de convertir son amant, essaie de le retenir, quand elle l’étreint dans ses bras, le poète s’élève malgré lui aux accens les plus pathétiques de la passion. Malgré le désintéressement qu’il professe, il ne peut se refuser à l’entraînement du sujet ; lui qui d’ordinaire est si sobre en images, il trouve à son insu des expressions pittoresques. Il y a dans l’amour de Diane, furieux et dévoué, quelque chose de la colère maternelle d’une lionne défendant sa famille. C’est qu’en effet Diane aime Bernard à l’heure du danger autrement qu’elle ne l’aimait d’abord. C’est qu’au moment de le perdre, elle a senti redoubler pour lui sa première affection.