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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

par exemple ? Lesage est-il moins grand pour n’avoir pas deviné d’avance les aventures qu’il raconte ?

Deux figures dominent toute la chronique, c’est Bernard de Mergy et Diane de Turgis. Bernard est un type heureusement imaginé, plein de courage et de crédulité, vertueux et ferme dans ses croyances, mais emporté, comme les jeunes gens de son âge, par l’ardeur tumultueuse des sens. Quand il entrevoit pour la première fois l’espérance d’être aimé, il tressaille de joie et se livre aveuglément à sa destinée. Il ne s’arrête pas un instant à considérer le danger ; et pourtant sa bravoure et son aveuglement sont pleins de naturel, le roman s’en arrange très bien. Mais l’auteur a su donner à son héros une franchise qui lui concilie tout d’abord la sympathie du lecteur. Quand Bernard va jouer sa vie sur le pré aux clercs, il ne tremble pas, mais il est ému comme il doit l’être, il sait que dans un instant il peut mourir, et il ne peut quitter sans regret une vie qui s’ouvre à peine, des espérances toutes neuves et que le temps n’a pas encore flétries.

C’est pourquoi j’aime Mergy.

Diane est une hardie jouteuse qui mène vaillamment une aventure. Elle prend pour elle le rôle que Bernard n’ose pas essayer. Elle poursuit l’amant qui devrait l’attaquer. Ce n’est pas, j’en conviens, la méthode usitée aujourd’hui ; mais le roman se passe au seizième siècle, parmi les femmes dont Brantôme nous a laissé de si joyeux portraits. Cette date n’est pas sans importance. Un siècle plus tard, à Versailles, par exemple, quoique les mœurs fussent loin d’être pures, quoiqu’il y ait dans Bussy et Saint-Simon presque autant de luxure effrontée que dans le biographe des dames galantes, Diane de Turgis n’aurait pas été vraisemblable.

Le caractère de Diane, malgré son apparente virilité, n’est cependant pas dépourvu d’intérêt poétique. Dès les premières pages on comprend qu’elle n’a jamais connu d’amour comme celui de Bernard. Jusqu’alors elle n’avait été aimée que pour sa beauté. Elle entrevoit dans les empressemens respectueux de Mergy une affection plus pure et plus élevée, et sans savoir si elle est capable d’éprouver un pareil sentiment, elle est fière de l’inspirer, et se résigne à faire la moitié du chemin pour amener à elle son timide antagoniste.