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LES ROYAUTÉS LITTÉRAIRES.

l’éclatante richesse de coloris qui vous place si haut parmi les poètes de ce temps-ci.

Vous avez retrouvé comme par enchantement toutes les souplesses et toutes les naïvetés dont notre langue semblait déshabituée depuis deux siècles. Vous avez rendu à la période française l’ampleur flottante et majestueuse qu’elle avait perdue depuis la renaissance. Vous avez sculpté notre idiome, vous l’avez découpé en trèfles et en dentelles ; vous avez gravé dans la parole les merveilleux dessins qui nous ravissent dans les tours mauresques, dans les palais vénitiens, dans les vieilles cathédrales chrétiennes. Nul mieux que vous ne possède l’art de lutter par le nombre et la profusion des images avec la peinture la plus franche et la plus vive. Vous avez pour chacune de vos pensées des traits et des nuances qui feraient envie aux héritiers de Titien et de Paul Véronèse. Quand il vous plaît de nous montrer les lignes d’un paysage, ou l’armure d’un guerrier, le pinceau n’a plus rien à faire pour achever son œuvre, il n’a qu’à mettre sur la toile les masses de lumière et d’ombre que vous avez choisies comme les meilleures.

Aussi voyez comme les peintres reconnaissent à l’envi l’intime fraternité qui les unit à votre génie ! voyez comme ils marchent joyeusement à votre suite, comme ils cherchent sur leur palette les costumes et les villes que vous préférez, comme ils étreignent d’une constante sympathie les scènes et les physionomies que votre doigt leur désigne. On dirait qu’à votre voix toutes les formes extérieures de la fantaisie se sont renouvelées. Les ruines inhonorées se relèvent pour un culte fervent. Dix siècles de la biographie humaine, flétris par l’ignorance du nom de barbarie, reprennent le rang qui leur appartenait dans l’histoire européenne. Le marbre, esclave dévoué de l’art antique depuis la mort de Jean Goujon, demande au ciseau patient la dague et la cotte de maille, la visière et le bouclier de nos aïeux. Vous avez naturalisé dans l’art une vérité que Herder et Jean de Muller avaient léguée à la réflexion studieuse, mais que leur éloquence n’avait pas suffi à populariser. Après avoir expliqué l’âge moderne par le moyen-âge, vous avez voulu expliquer pareillement l’antiquité par l’orient. Vous avez montré qu’il n’y a pas pour les idées humaines de généalogie possible, si l’on retranche de nos titres deux géné-