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guère été dans notre pays qu’un délassement de lettrés, un retentissement plus ou moins grêle des deux antiquités, un pastiche habile, mais le plus souvent inanimé des pensées consacrées par l’admiration d’Athènes ou de Rome, ont aujourd’hui de glorieux représentans.

Le premier nom que je vais prononcer est déjà sur vos lèvres. Plus d’une fois vous l’avez invoqué dans la tourmente littéraire. Au milieu des orages tumultueux qui ont accueilli votre passage, vous avez pris pour guide plus d’une fois cette étoile radieuse qui avait éclairé vos premiers pas. Entre les fortunes littéraires j’en sais bien peu qui se puissent comparer à celle de Lamartine. Il domine par la paisible majesté de son génie toutes les controverses littéraires. Il ne s’est guère soucié, à ce qu’il semble, de la rénovation factice de la poésie lyrique au seizième siècle, ni du rajeunissement plus sérieux et plus vrai commencé à la fin du siècle dernier, au pied de l’échafaud, par une voix trop tôt réduite au silence. Le savant Ronsard qui voulait helléniser toute la France, et la lyre mélodieuse à qui Mlle de Coigny a confié le soin de son immortalité, ne sont pour rien dans l’avènement de Lamartine. Homme heureux et prédestiné, il ne doit qu’à lui-même l’abondance et la forme de ses pensées. Parmi les artistes éminens de ce temps-ci, ce qui le distingue, vous le savez, c’est la spontanéité permanente de son génie. Il n’emprunte à personne le nombre et la mesure de ses périodes. Les similitudes inépuisables dont il fait un vêtement à sa fantaisie, les horizons indéfinis qu’il ouvre devant nous, les perspectives majestueuses de ses paysages, tout cela est bien à lui. Il n’a dit à personne le secret de ses inspirations merveilleuses. Peut-être qu’il ignore lui-même la source mystérieuse où sa rêverie se renouvelle sans jamais se métamorphoser. Homme de cœur et d’entraînement, il ne s’est jamais étudié. Il n’a jamais songé à se demander pourquoi sa fantaisie préférait les plis majestueux de la toge antique aux tabards et aux cottes de maille ; s’il lui est arrivé de feuilleter l’histoire, sans doute ç’a été seulement pour nourrir sa pieuse tristesse au spectacle des grandes catastrophes. Il ne s’est guère enquis du costume ou des habitudes des héros dont il lisait la vie. Mais il a suivi d’un œil curieux l’accomplissement des conseils providentiels dans la destinée politique des nations. Il n’a pas