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talière, moi étranger, sans autre recommandation que la faim et la fatigue dont j’étais accablé ! Quand j’avais bien satisfait mon appétit, quand j’avais fait un bon somme, me voyant disposé à partir, le vieux pasteur en robe de chambre venait à moi et me donnait sa bénédiction pour le chemin, bénédiction qui ne m’a jamais porté malheur. La bonne et loquace femme du pasteur me glissait dans la poche quelques tartines, qui ne m’étaient pas moins utiles ; et, à quelque distance de là, dans un parfait silence, les belles filles du vieux prêtre apparaissaient avec leurs joues rougissantes et leurs doux yeux couleur de violette, dont le feu timide ranimait mon cœur pour toute cette longue journée d’hiver.

En posant comme thèse que sa doctrine devait être discutée ou réfutée au moyen de la Bible ou par des motifs tirés de la raison, Luther accorda à l’intelligence humaine le droit de s’expliquer les saintes Écritures, et la raison fut appelée comme juge suprême dans toutes les discussions religieuses. De là résulta en Allemagne la liberté de l’esprit ou de la pensée, comme on voudra la nommer. La pensée devint un droit, et les décisions de la raison devinrent légitimes. Sans doute, depuis quelques siècles, on avait pensé et parlé avec une assez grande liberté, et les scolastiques ont disputé sur des choses que nous nous étonnons de voir même mentionner dans le moyen-âge. Mais cela provenait de la distinction qu’on faisait des vérités théologiques et philosophiques, distinction au moyen de laquelle on se gardait expressément de l’hérésie, et cela avait lieu seulement dans les salles des universités, et dans un latin gothique que le peuple ne pouvait comprendre. L’église avait donc peu de chose à craindre de toutes ces discussions. Cependant elle n’avait jamais positivement permis ces procédés, et, de temps en temps, comme pour protester, elle brûlait un pauvre scolastique. Depuis Luther, au contraire, on n’a pas fait de distinction pour la vérité théologique et la vérité philosophique, et l’on a disputé sur la place publique, et en langue allemande, sans avoir rien à craindre. Les princes qui ont accepté la réforme ont légitimé cette liberté de la pensée, et la philosophie allemande est un de ses résultats positifs et importans.

Nulle part, pas même en Grèce, l’esprit humain n’a pu s’exprimer et se développer aussi librement qu’il l’a fait en Allemagne,