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— Écoute, tu as dit tout-à-l’heure que si quelqu’un voulait te donner une bonne pinte de vin, tu lui vendrais ton ame ?

« Celui-là répéta encore : — Oui, je le veux bien ; aujourd’hui buvons, faisons des folies et soyons de bonne humeur.

« L’homme, qui était le diable, dit oui, et bientôt après il disparut. Lorsque le même buveur eut passé joyeusement toute la journée, et se trouva ivre, le même homme, le diable, revint, s’assit près de lui, et dit aux autres compagnons de débauche :

— Mes chers sires, quand quelqu’un achète un cheval, la selle et la bride ne lui appartiennent-elles pas aussi ? Que vous en semble ? — Tous eurent une grande frayeur. Mais finalement l’homme leur dit :

— « Allons, parlez nettement.

« Ils en convinrent, et répondirent : — Oui, la selle et la bride lui appartiennent aussi. — Alors le diable s’empara de ce garçon emporté, l’enleva par le toit, et personne ne sut jamais où il était allé. »

Bien que je porte le plus grand respect à notre grand maître Martin Luther, il me semble qu’il a complètement méconnu le caractère du diable. Celui-ci ne parla jamais du corps avec autant de mépris qu’il le fait en cette circonstance. Quelque mal qu’on ait dit du diable jusqu’ici, on ne l’a pas encore accusé d’être spiritualiste.

Mais Martin Luther méconnut encore plus les sentimens du pape et de l’église catholique. Dans une stricte impartialité, je dois les défendre tous deux, comme j’ai défendu le diable contre le zèle par trop ardent du grand homme. En vérité, si on s’adressait à ma conscience, je conviendrais que le pape Léon x n’avait pas du tout tort au fond, et que Luther n’a nullement compris les dernières raisons de l’église catholique. Luther n’avait pas compris, en effet, que l’idée fondamentale du catholicisme, l’anéantissement de la vie sensuelle, était trop en contradiction avec la nature humaine pour être jamais complètement exécutable ; il n’avait pas compris que le catholicisme, tel qu’il se trouvait alors, était un concordat entre Dieu et le diable, c’est-à-dire, entre l’esprit et la matière, où la domination absolue de l’esprit était admise en théorie, mais où la matière était mise en état d’exercer par la pratique tous ses droits annulés. De là un prudent accomode-