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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

en l’église. Lorsque le savant docteur Remigius eut achevé son grand ouvrage sur la sorcellerie, il se regarda comme si bien instruit de sa matière, qu’il crut pouvoir se livrer lui-même à la magie, et consciencieux docteur qu’il était, il ne manqua pas de se dénoncer aux tribunaux, comme sorcier. Il fut brûlé publiquement par suite de ses aveux.

Ces horreurs ne provenaient pas directement de l’église catholique, mais indirectement sans aucun doute, car elle avait si artificieusement interverti la vieille religion germanique, que le système panthéistique des Allemands était devenu pandémonique, et les divinités populaires avaient été changées en diables affreux. L’homme n’abandonne pas volontiers ce qui a été cher à ses pères, ses prédilections s’y cramponnent secrètement et souvent à son insu, même quand on l’a mutilé et défiguré. Aussi cette superstition populaire, toute travestie qu’elle soit, durera-t-elle peut-être en Allemagne plus long-temps que le culte chrétien, qui n’a pas, comme elle, sa racine dans l’antique nationalité. Au temps de la réformation, le souvenir des légendes catholiques s’effaça rapidement, mais nullement la croyance aux enchantemens et aux sorciers. Luther ne croit plus aux miracles du catholicisme ; mais il croit encore à la puissance du diable. Ses propos de table sont pleins d’histoires anciennes et curieuses où il est question des tours que fait Satan, des kobolds et des sorcières. Lui-même, souvent, il crut lutter avec le diable en personne. À la Wartbourg, où il traduisit le Nouveau Testament, il fut si fortement troublé par le diable, qu’il lui jeta son écritoire à la tête. Depuis ce temps, le diable a une grande horreur de l’encre, mais peut-être encore plus du noir d’imprimerie. Dans ces propos de table, il est bien souvent question de la finesse et de l’astuce du diable, et je ne puis me dispenser de vous citer encore une histoire.

Le docteur Martin Luther conte qu’un jour quelques bons compagnons étaient assis et devisaient dans un cabaret. Il y avait parmi eux un garçon impatient, emporté et sauvage, qui s’était mis à dire que si quelqu’un voulait lui donner une bonne pinte de vin, il lui vendrait son ame.

« Peu de momens après, un homme entra dans la chambre, s’assit près de lui, but avec lui, et lui dit :