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et comment elle s’est manifestée dans le monde. Bien que les uns aient été déclarés hérétiques, que les autres soient décriés, et que l’église les ait condamnés tous, leur influence sur le dogme s’est cependant conservée, l’art chrétien s’est développé de leurs symboles, et leur façon de voir s’est identifiée à la vie entière de tous les peuples chrétiens. D’après leurs derniers principes, les Manichéens ne diffèrent pas beaucoup des Gnostiques. La doctrine des deux principes, le bon et le mauvais, qui se combattent, leur est commune. Les uns, les Manichéens, empruntèrent ce dogme à l’ancienne religion des Parsis, où Oromase, la lumière, est opposé à Arimanes, la nuit ou les ténèbres. Les autres, les véritables Gnostiques, croyaient plus à la préexistence du bon principe, et expliquaient la naissance du mauvais principe par l’émanation, par génération d’Eons qui se détérioraient d’autant plus qu’ils s’éloignaient de leur origine. D’après Cerynthus, le créateur de notre monde n’est nullement Dieu très haut, mais seulement une émanation de lui, un de ces Eons, le véritable demiourgos, qui a insensiblement dégénéré, et qui s’est placé en adversaire vis-à-vis du logos, le bon principe, émané directement du Dieu suprême. Cette cosmogonie gnostique est d’origine indienne, elle entraîne avec elle la doctrine de l’incarnation de Dieu, de la mortification de la chair, de la contemplation intérieure ; elle a donné naissance à la vie ascétique, à l’abnégation monastique, qui est la fleur la plus pure de l’idée chrétienne. Cette idée n’a pu se manifester que très vaguement dans le dogme, et n’apparaître que confusément dans le culte. Toutefois nous voyons apparaître partout la doctrine des deux principes ; le pervers Satan est partout opposé au Christ ; le monde spirituel est représenté par le Christ, le monde matériel par le diable. Au premier est notre ame, à l’autre notre corps. Le monde entier, la nature, sont dévolus par leur origine au mal. C’est par eux que Satan, le prince des ténèbres, veut nous entraîner à notre perte, et il faut renoncer à tous les plaisirs sensuels de la vie, martyriser notre corps, inféodé à Satan, afin que l’ame s’élève plus majestueusement aux lumières du ciel, au royaume éblouissant du Christ.

Ce système, qui est l’idée du christianisme, s’était répandu avec une incroyable rapidité dans tout l’empire romain ; ces douleurs,