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TERPSICHORE.

D’autres acteurs encore envahissent la scène.
Les beaux noms du pays descendent dans l’arène,
Et le gosier bardé des plus sales propos,
Des hommes de la halle étourdissans échos,
Ils traînent après eux, les hommes de pensée
Les ardens curieux de la joie insensée,
Tous courent au théâtre, et sans chaleur, sans rut,
Apprennent là du peuple à danser la chahut.
Quelle danse et quel nom ! D’abord c’est une lutte :
Les accens du clairon, les soupirs de la flûte,
Les violons aigus et les tambours ronflans
Irritent tous les corps, agitent tous les flancs ;
Puis, le signal donné, les haleines fumeuses
Versent de tous côtés des paroles vineuses.
Voyez ! le masque tombe ainsi que la pudeur.
La femme ne craint pas de tendre avec ardeur
Au vin de la débauche une lèvre altérée ;
Et là nulle ne fait la longue et la sucrée.
L’homme attaque la femme, et la femme répond,
La joue en feux, les yeux luisant à chaque bond ;
Et, la jambe en avant, elle court sur les planches,
Elle arrive sur l’homme en remuant des hanches ;
Et l’homme, l’animant du geste et de la voix,
Par ses beaux tordions la met toute aux abois.
Comme un triton fougueux prend une nymphe impure,
Il la saisit au corps, et, luttant de luxure,
Simule à tous les yeux ce que les animaux
N’ont jamais inventé dans leurs plaisirs brutaux.
Horreur ! Cette luxure est partout applaudie,
Et l’imitation court comme l’incendie.
Puis la salle chancelle, et d’un élan soudain,
Le bal entier se lève, une main dans la main,
Les corps joignent les corps ; comme un torrent qui roule,
Sur le plancher criant s’éparpille la foule.
Alors une poussière immonde, en longs anneaux,
Enveloppe la salle et ternit les flambeaux.
Le plafond tourne aux yeux, ainsi que dans l’ivresse,