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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

cette époque porta un rude coup au parti whig. Canning ne partageait pas leurs vues sur la réforme parlementaire, et plusieurs fois il avait parlé contre ce projet ; mais, en revanche, il sympathisait pleinement avec eux sur une question d’une importance bien plus urgente, celle de l’émancipation catholique, qu’il avait souvent défendue de concert avec Brougham. Depuis long-temps le cabinet était divisé touchant cette mesure, mais la majorité était hostile aux catholiques, dont les partisans eurent à lutter avec l’opposition systématique de deux rois successifs. Aussi, lorsque M. Canning accepta le ministère (il était sur le point de partir pour l’Inde comme gouverneur-général), il fut assez généralement accusé, sinon d’abjurer ses opinions, au moins de consentir pour un temps à ne pas les manifester publiquement, et l’on supposa qu’il avait fait ce sacrifice afin de se concilier le vieux chancelier, lord Eldon, qui nourrissait contre le hardi et brillant orateur une antipathie profonde. On n’avait pas oublié non plus qu’en 1812 Canning n’avait pas explicitement refusé de faire partie d’un ministère anti-catholique. Il ne faut donc pas s’étonner si Brougham, dans le cours d’une discussion relative aux catholiques (avril 1823), se laissa entraîner par la colère jusqu’à employer contre Canning des expressions violentes et peu convenables ; s’il l’accusa d’une monstrueuse bassesse et d’une incroyable tergiversation politique. Probablement la réprimande fut d’autant plus vivement sentie qu’elle était plus juste, car Canning, au lieu de se soumettre avec la froideur qui, chez les hommes publics, accueille d’ordinaire de pareils reproches sur leur conduite politique, se leva et interrompit son adversaire en l’accusant de mensonge. Un démenti dans une conversation particulière emporte avec lui un sens et un résultat ; dans une assemblée délibérante, un démenti est une invitation directe adressée aux officiers de la chambre pour qu’ils aient à se saisir de celui qui l’a prononcé. En conséquence, le speaker intervint, mais la popularité de Canning dans la chambre des communes le défendit contre l’autorité du règlement ; il refusa quelque temps de rétracter ses expressions offensantes ; alors un membre fit une proposition singulièrement impartiale, et demanda l’arrestation de l’offenseur et de l’offensé. La chose finit comme finissent d’ordinaire dans les assemblées anglaises des offenses de ce genre. Les