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LITTÉRATURE FRANÇAISE.

peare ? Il y a eu des momens où l’Italie a été infidèle à Dante. On peut donc demander réparation d’une injustice passagère tout en croyant à la justice définitive de l’arbitre. En outre, cet arbitre a divers tribunaux en divers pays, et souvent sa jurisprudence n’est pas très conforme. Si au-delà du Rhin on méconnaît notre grand Molière, nous plaiderons contre ces opposans germaniques ; puis nous retournant vers nos compatriotes, nous plaiderions contre eux de toute notre force, s’il leur prenait fantaisie de contester le génie de Goethe ou la sublimité de l’Edda.

Telle est l’impartialité, comme je l’entends, non pas froide, inanimée, approuvant tout parce que tout lui est indifférent, laissant passer devant elle les temps et les hommes sans en arrêter aucun, comme un sultan blasé regarde nonchalamment défiler ses esclaves, ou un pasteur indolent son troupeau ; mais, au contraire, passionnée, guerroyante, combattant toute superstition et tout blasphème, honorant sans réserve toutes les divinités véritables, brisant sans pitié toutes les idoles.

Messieurs, le but de cet enseignement ne serait pas atteint complètement s’il ne venait à travers les siècles écoulés aboutir à notre siècle. Je sais que l’étude ne donne pas le génie, et je déclare ignorer l’art d’enseigner à produire des chefs-d’œuvre. Mais je crois que l’histoire des révolutions littéraires est instructive comme celle de toutes les révolutions. Je crois qu’il est bon de connaître d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Il faut, comme le disait naguère ingénieusement M. Michelet, « se tourner vers les monumens qui sont derrière nous pour voir blanchir à leur cime les premières lueurs de l’avenir. »

L’avenir, messieurs, c’est la foi de notre âge ; c’est le flambeau du passé, l’étoile du présent. Tout ce qui pense aujourd’hui s’efforce d’épeler les lettres encore voilées de son radieux symbole. Il a ses sceptiques et ses blasphémateurs ; il a aussi ses superstitieux et ses fanatiques. Soyons fermes, messieurs, en présence de cette grande idée de notre époque ; ne laissons pas troubler notre raison par cette pensée de l’avenir, vague et puissante comme la pensée de l’infini. Au milieu des sectes qui se forment, des écoles qui s’élèvent, des opinions qui s’agitent pour naître, conservons la liberté de notre jugement et l’indépendance de notre esprit.