Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/431

Cette page a été validée par deux contributeurs.
419
LITTÉRATURE FRANÇAISE.

borne à reproduire l’image de la réalité passagère et changeante ; la philosophie s’élève au-dessus du temps et cherche l’immuable vérité. Qu’importe à la philosophie de l’histoire que deux peuples n’aient eu l’un sur l’autre aucune action, que le hasard n’ait établi entre eux aucun rapport historique, si elle découvre une analogie dans leurs conditions, dans leurs destinées ? De même qu’importe à la philosophie de l’art que deux littératures ne soient point entrées en contact, pourvu que, dans un point ou sous une face quelconque de leur développement, elles donnent lieu à un rapprochement ou à un contraste fondés. Ici, vous le voyez, notre sujet prend une extension nouvelle, et sa grandeur n’a plus d’autre mesure que celle de l’esprit humain tout entier.

Mon point de départ, mon but définitif, ce sera donc la littérature nationale, dont cette chaire revendique l’enseignement ; mais le pied fermement posé sur le sol de la patrie, il ne me sera pas interdit de jeter mes regards au-delà de ses frontières, d’évoquer tous les siècles et tous les monumens pour y trouver avec les diverses époques et les divers monumens de la littérature française des analogies ou des différences ; ici rien ne nous arrêtera, ni temps, ni lieu : selon notre besoin, les diverses civilisations, les diverses poésies de l’Orient, de l’antiquité, des temps modernes, comparaîtront devant nous. Agrandir de la sorte son point de vue littéraire par la comparaison, c’est comme s’élever du spectacle des objets qui nous entourent à celui du globe, et du spectacle du globe à la contemplation des mondes.

Ce n’est pas tout, messieurs, il ne suffit pas de contempler, il faut juger et conclure.

La science n’est pas une surface mathématique sans profondeur et n’ayant d’autre dimension que l’étendue. Craignons de glisser sur cette surface faute d’un point d’arrêt qui nous y fixe, et de n’y laisser nul vestige de nous. Ne bornons pas l’action de notre esprit à un frottement qui le polirait en l’émoussant. Messieurs, ne craignez pas d’appuyer sur les objets la pointe mordante de la pensée, si vous voulez y graver votre image et votre nom. Défiez-vous de cette facilité complaisante, de cette mollesse flexible et curieuse qui reçoit toutes les empreintes et n’en rend aucune ; car on