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dans toute sa richesse, sa fougue, sa plénitude, un siècle environ avant l’Académie et M. de Vaugelas.

Les noms des grands prosateurs des deux âges suivans se présentent assez naturellement à votre mémoire pour qu’il soit inutile de vous les rappeler. Souvenez-vous seulement, messieurs, qu’autour de ces noms classiques nous grouperons beaucoup de noms moins célèbres, et même des ouvrages sans noms ; pamphlets, mémoires, lettres, tout nous sera matière à étudier le développement de la pensée et en même temps de la langue française ; car nous ferons toujours marcher l’étude de l’une avec l’étude de l’autre. Nous suivrons l’histoire de cette belle langue, depuis ses origines qu’ont éclairées déjà d’une vive lumière les travaux de M. Raynouard jusqu’à cette prose de nos jours que menacent et envahissent tant de hardiesses, de bizarreries, de formes étrangères, qui doit certes ouvrir son sein aux produits légitimes du temps et d’une société nouvelle, mais ne doit jamais perdre ce qui est tout à la fois son caractère et son mérite, la clarté, la netteté, le tour naturel et facile. Exiger cela d’elle, ce n’est pas la condamner à l’immobilité, à l’uniformité, la réduire au dénuement. Quoi de plus abondant, de plus libre, que la prose du xviie siècle ? Quoi de plus varié que le style de nos grands prosateurs ? Bossuet ressemble-t-il à Fénelon, ou Pascal à Labruyère, ou Voltaire à Rousseau, ou Buffon à Montesquieu ? Enfin, n’est-ce pas un écrivain de leur famille que l’écrivain le plus original de notre temps ? Qui manie avec plus de science la langue française que M. de Chateaubriand ? et qui a su lui donner un caractère plus nouveau ? Vous voyez, messieurs, par cette indication rapide la fécondité du champ qui nous est ouvert, si nous voulons en parcourir l’étendue ; si nous voulons embrasser tout notre développement littéraire, depuis ceux qui bégayèrent la langue française au xiie siècle, jusqu’à celui que je nommais tout à l’heure, et qui, six cents ans plus tard, a fait servir cet instrument si merveilleux entre ses mains à revêtir des plus magnifiques images les plus hautes idées, les plus généreux sentimens ; qui enfin, après avoir élevé tant de monumens d’éloquence, d’histoire et de poésie, emploie cette verdeur de génie que le temps semble chez lui rajeunir à construire le plus achevé, le plus impérissable de tous, ces Mémoires