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mariage se fait, et au moment du départ des deux nouveaux époux, l’opulente mère de Lucrezia donne au patron du navire qui doit l’emmener, un pavillon, une tente richement tissue et travaillée, et enfin elle remet à sa fille deux pierres d’Orient, en lui conseillant de les cacher dans l’ourlet de sa chemise ; puis, s’adressant à son gendre, elle lui recommande son enfant en lui disant qu’il est désormais son premier et son dernier soutien. Urbano, sa Lucrezia accompagnée seulement de sa nourrice qui ne la quitte jamais, et les trois Florentins se rembarquent. Le patron du vaisseau met la voile. »

Arrêtons-nous encore un instant pour éclaircir la partie du récit qui précède. Les trois frères florentins représentent les sectaires tous occupés de l’idée de faire recouvrer à l’empereur les droits que lui dispute le pape, ou soudan de Babylone ; pour cela, ils imaginent d’introduire dans sa cour, sous les habits du fils légitime de l’empereur, Urbano déguisé, qui, comme on l’a déjà vu, n’est autre chose que le jargon, l’argot de la secte personnifié. Or, puisque le soudan c’est le pape, son épouse est l’église, et sa fille (Lucrezia, ainsi nommée à cause du lucre dont elle est la source) est nécessairement la théologie catholique, « paraissant, comme dit Boccace, non une chose humaine, mais divine, et tout nouvellement descendue du paradis. » Par l’union d’Urbano avec Lucrezia, le romancier enseigne que la langue de la secte, pour devenir parfaite et dérouter complètement ses antagonistes, doit être un composé d’argot et de théologie, comme Dante, Francesco da Barberino, Cecco d’Ascoli, Petrarca et Boccacio lui-même l’ont employé. Enfin les deux pierres d’Orient représentent la double clé de cette langue double et trompeuse, dernière ressource de l’église, selon l’idée et l’espoir des sectaires anti-papistes, pour sauver la théologie catholique des dangers qui la menacent. Quant à l’antichissima Balia, la vieille nourrice qui a allaité, élevé Lucrezia, et qui seule la suit après son mariage, c’est la Bible. Nous verrons plus tard qui peut être le patron de la barque, et je reprends le roman de Boccace.

« Après avoir tenu la mer quelque temps, les voyageurs arrivent et débarquent à une île nommée Dispersa (perdue), remplie de bêtes féroces, mais particulièrement de lions. Urbano et Lu-