Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/402

Cette page a été validée par deux contributeurs.
390
REVUE DES DEUX MONDES.

pour recevoir une admonestation de la dame de ses pensées, au sujet des fautes qu’il a pu commettre, et entendre prononcer son admission au paradis. Bientôt cette Béatrice ou toute autre se transforme en Luce (lumière), et finit par s’identifier avec son amant lui-même, comme le prouvent ces paroles de la Vita nuova de Dante, lorsqu’il dit, en parlant de la mort de Béatrice : « Qu’il ne peut louer cette personne sans se louer lui-même, ce qui serait blâmable, et ce qu’il laisse à faire à d’autres. » Pétrarque et Boccace emploient également ces étranges paroles à propos de Laure et de Fiametta.

Quel que soit mon désir d’éviter les citations, je ne puis me dispenser de rapporter ici un admirable passage de Dante, propre à jeter du jour sur la question que je traite. Il est tiré du xxxie chant du Purgatoire, lorsque Dante, arrivé près du fleuve Léthé, rencontre Béatrice sur le char traîné par un griffon, et s’apprête à faire la confession de ses fautes à la dame de ses pensées. C’est Béatrice qui parle :


O tu, che se’ di là dal fiume sacro,
    Volgendo suo parlare a me per punta,
    Che pur per taglio m’ era parut’ acro,
Ricominciò, seguendo, senza cunta,
    Di’, di’ se quest’ è vero, a tanta accusa
    Tua confession convienne esser congiunta.
Erra la mia virtù tanto confusa,
    Che la voce si mosse, e pria si spense
    Che dagli organi suoi fosse dischiusa.
Poco s’ offerse, poi disse : che pense ?
    Rispondi a me, che le memorie triste
    In te non sono ancora d’all’ acqua offense.
Confusione e paura insieme miste
    Mi pinsero un tal fuor della bocca,
    Al qual intender fur mestier le viste.
Come balestro frange, quando scocca
    Da troppa tesa la sua corda e l’ arco,
    E con men foga l’ asta il segno tocca,
Si scoppia’ io sott’ esso grave carco
    Fuori sgorgando lagrime e sospiri,
    E la voce allentò per lo suo varco.