Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/401

Cette page a été validée par deux contributeurs.
389
ANCIENNE LITTÉRATURE ITALIENNE.

On le sait à présent, M. Rossetti croit, non sans quelque raison, que tous les écrits de Dante ont été composés dans un intérêt politique. Il était donc important et indispensable pour lui de prouver que l’amour platonique est comme les phrases, comme les signes dont il a été question, un voile, un emblème, au moyen desquels les sectaires anti-papistes, impérialistes, gibelins, exprimaient leurs opinions et leurs espérances, répandaient leurs doctrines et attaquaient la puissance de leurs adversaires. C’est aussi ce qu’il s’efforce de faire. Ainsi, dit-il, lorsque Dante vint, il trouva l’art de la gaie science tout fait, et un langage illusoire établi sur une base très simple, deux mots : amour et haine, d’où dérivent deux séries d’expressions contrastant l’une avec l’autre, et servant à désigner, d’une manière emblématique, toutes les choses contraires. Les mots amour et haine donnés, on en fit donc le seigneur Amour et la dame Haine ; le règne d’Amour et celui de Haine, Plaisir et Douleur, Vérité et Fausseté, Lumière et Ténèbres, Soleil et Lune, Vie et Mort, Bien et Mal, Vertu et Vice, Courtoisie et Bassesse, Valeur et Lâcheté, Noblesse et Abjection, Gens intelligens et Gens grossiers, Agneaux et Loups, Droite et Gauche, Montagne et Vallée, Feu et Glace, Jardin et Désert, etc. ; nomenclature à laquelle Dante ajouta Dieu et Lucifer, Christ et Antechrist, Anges et Démons, Paradis et Enfer, Jérusalem et Babylone, la Femme pudique et la prostituée, Béatrice et Mérétrice.

Pour apprécier la nature du sentiment auquel on a donné le nom d’amour platonique, M. Rossetti a pris un excellent moyen : c’est d’étudier le caractère et le développement progressif de ce qui en fait l’objet, c’est-à-dire des Béatrice, des Laure, des Fiametta, des Selvaggia, des Teresa, Nina, Clori, etc., qui sont toutes jetées dans le même moule. Or ces femmes qui, comme on l’a déjà dit, apparaissent toutes dans la semaine sainte, jetant toutes aussi leurs amans dans la vie contemplative, meurent toutes précisément avant leur amant, à la première heure du jour, et elles finissent régulièrement par aller habiter le troisième ciel. Leurs amans prennent alors le titre de pélerins, et entreprennent de grands voyages, passant par l’enfer et le purgatoire pour parvenir jusqu’à l’empirée. Enfin l’amant, et Dante en particulier, après avoir subi de nombreuses initiations, arrive à ce troisième ciel