Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.
384
REVUE DES DEUX MONDES.

de connaître les expressions, les mots et les signes mêmes dont on se servait pour rendre ces pensées, déjà fort obscures. Or, dans les poèmes de Dante comme dans toutes les autres poésies de son temps, l’annonce du jugement dernier et d’un juge qui viendra bientôt pour punir et récompenser les vivans et les morts, s’y trouve toujours reproduite. C’est même là ce qui a fait donner à Dante le surnom de poète théologien. Mais, d’après le système de M. Rossetti, toute sa poésie est politique. Les vivans, ce sont les bons, c’est-à-dire les Gibelins ; les Guelfes, au contraire, sont les mauvais, ou les morts, deux expressions emblématiques employées dans un sens analogue par l’auteur de l’Apocalypse. Enfin, le juge qui doit venir, c’est l’empereur.

Toute la gaie science en Italie, le dire d’amour n’était donc, selon M. Rossetti, que le jargon, l’argot de la faction gibeline, qui, sous le nom d’amour, cachait son désir de voir l’empereur renverser le pape, et désignait cette espèce de messie impérial tantôt sous le nom générique de dames, tantôt sous celui d’une femme particulière. Ce nom, qui était toujours symbolique, était encore parfois anagrammatique. Dante fournit un singulier exemple de ces jeux de mots et de lettres. Au 7e chant du Paradis, lorsque le poète s’adresse à Béatrice pour être instruit sur la rédemption de l’homme, il exprime la crainte mêlée de respect que lui inspire la vue de sa dame, et s’écrie :


Io dubitava, e dicea : dille, dille
Fra me, dille, diceva, alla mia donna
Che mi dissetta con le dolci stille ;
Ma quella reverenza che s’indonna
Di tutto me, pur per B e per ICE
Mi richinava come l’uom ch’assonna.


Avant de donner la traduction de ce passage, il faut que l’on sache que, dans quelques poésies de Dante et dans sa Vita nuova, on trouve parfois le nom de Béatrice réduit par abréviation à celui de Bice, comme plus tard Pétrarque a employé le diminutif Laurette pour Laure. Dante dit donc :


« J’étais dans le doute, et je me disais en moi-même : dis-le, dis-le à ma dame qui apaise ma soif par la douce rosée qu’elle distille ; mais ce respect qui s’empare