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POÈTES ALLEMANDS.

Souabe et de tout le midi ne continuent pas là l’incorrigible lignée des Trouvères.

Tout est bien changé pourtant. Les rois ont eu un moment en leur pouvoir, la foi, la vertu, la religion de l’Allemagne. Quand tout périssait et qu’elle ne trouvait plus que cendre dans sa meilleure certitude, elle leur a mis dans la main sa dernière espérance. Dans leurs coupes vermoulues, elle a versé sa dernière chimère, et elle leur a dit : Buvez-en avec moi. Quand sa philosophie l’a laissée en chemin, elle s’est mise à leur école ; et cette candeur ne les a point touchés, et ils ont eu le cœur de frapper sur ce peuple, comme sur un autre peuple. Ils ont brisé cette espérance ; ils ont rejeté cette chimère. Ils n’ont point fait de différence de cette nation et d’une autre nation. Oh ! c’est là une iniquité, je vous jure ; car ce ne sont pas seulement comme chez nous des couronnes ou des trônes qu’ils mettaient en péril, mais la vieille foi, mais le Christ tout vivant dans les cœurs, mais la Providence dont ils étaient l’image dans ces ames crédules ; mais la vie du serment encore intacte, mais les morts et les anges adorés, mais le ciel et l’enfer chrétiens pris à témoin. Ce n’était pas seulement des sceptres qu’ils brisaient, mais des idées qu’ils foulaient, mais des religions qu’ils étouffaient, et un monde entier de pensées, de traditions, de prières et de vœux, suspendu à leur parole, et qui croulait avec elle.

C’en était fait, il fallait bien le reconnaître. On avait cru que si les rois guérissaient au moyen-âge par l’imposition des mains l’infirmité du corps, ils sauraient maintenant guérir l’incurable infirmité des ames ; et tout le contraire, on ne rapportait de ce contact que des cœurs meurtris et des espérances évanouies. Force était de changer de langage et d’extase. Les ballades se nourrirent de fiel, et les sonnets d’absinthe. Quand, au quinzième siècle, l’esprit allemand avait achevé sa cathédrale de Strasbourg ; il avait sculpté au sommet une figure satanique pour railler de là haut tout l’édifice. C’était un ricanement d’enfer qui tombait de ce balcon sur les vierges de pierre, sur les colonnes et sur les colonnettes, sur les saints dans leurs niches, sur le pavé et sur l’autel, et sur toute cette impuissance du culte et de la foi humaine. À son tour, la poésie en fit autant. Elle monta au dernier échelon