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ou du moins elle s’absorbe dans la science sociale, comme au midi la philosophie de Schelling s’absorbe dans la religion. C’est un grand symbole que la disparition de ces tribuns de l’idéalisme qui ameutaient tout ce peuple autour de l’infini. Ils l’ont mené trente ans sur le mont Aventin du spiritualisme ; et à présent, il crie, lui, qu’il a faim et soif du monde réel, et il ne sait que faire pour y redescendre assez vite.

Dans cette invisible dissolution, les sectes prennent peu à peu la place de la religion, et les maximes celle de la morale. Sous mille noms, piétisme, méthodisme, le froid avance et s’insinue partout. À mesure que l’Allemagne se fait plus sensuelle, il se forme des codes de fastueuse austérité. Dans son premier étonnement, tout lui fait scandale. Elle a quitté la grande voie de l’innocence antique ; elle est entrée dans les détours du scrupule. La pauvre Ève se couvre trop tard de feuillages ; son passé n’en est pas moins condamné. Ce qui faisait le charme de ce pays entre tous les autres, la confiance, la sérénité, du reste d’incrédulité au mal, disparaît chaque jour. Un dur casuisme se met à la place de tout cela, et prétend lui seul, à force de maximes, tenir tête à la ruine. Plus convaincu que le cant anglais, il trouble jusqu’à la mort les ames vierges, dont ce pays est encore plein. Il les vieillit en un jour, et rien ne manifeste mieux le démembrement des anciennes croyances que ces fantômes de secte qui surgissent ainsi par intervalle dans la conscience publique.

Tous ces symptômes, il faut le dire, se sont long-temps dissimulés sous l’effervescence qui a suivi les guerres de l’indépendance. Les espérances infinies qui se montrèrent vers ce temps-là couvrirent bien des désenchantemens commencés et des pertes cuisantes. Les peuples et les rois s’étaient embrassés dans le sang. On s’était fait les uns aux autres mille sermens, et l’ancienne foi allemande reparut pour un moment. Uhland fut le poète de cette alliance. On crut quelque temps qu’il n’y avait qu’à essuyer ses yeux, et que cette larme du doute qui avait semblé si amère ne reviendrait jamais. Partout se remontra dans les œuvres d’art la figure de l’Allemagne au moyen-âge, blonde et sereine, seulement un peu attristée par cette sourde plaie que l’on pensait guérie. Et je ne sais pas si encore à présent ces imprévoyans poètes de la