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regardées de près, auraient secoué de leurs ailes la poussière de Iéna, de Wagram et d’Austerlitz.

Il y eut alors un homme qui fit ouvertement une plaie bien plus profonde au cœur des croyances et, en voulant tout le contraire, en avança beaucoup la ruine. Cet homme-là, c’est le paysan Voss, qui se rua en véritable anabaptiste contre le principe sur lequel vivait alors toute la pensée allemande. Il n’attaqua pas en face la philosophie idéaliste de son époque, ses coups ne portèrent pas si haut ; mais il alla la poursuivre avec acharnement dans ses applications à la science de l’antiquité. Il ne voyait pas, l’aveugle, qu’en détruisant le principe du symbole, il détruisait en même temps toute la vie allemande. Il y eut un moment où ce pacifique pays ne retentit que de ses imprécations contre les fauteurs du symbolisme. Volontiers il eût fait de tous ces monstres un unique bûcher ; et il déchaîna en effet plus d’une émeute, au nom du Bacchus indien, contre mon très honorable et très paisible maître, le docteur Frédéric Creuzer. Cet homme apportait dans la science une verdeur de passions qui, ailleurs, ne se trouve que dans la fièvre des assemblées politiques. C’est qu’au fond, sous cet appareil scolastique, la question était grande et imminente ; et c’était du présent qu’il s’agissait dans ce passé de trois mille ans. L’instinct révolutionnaire se glissait sans le savoir sous ce masque d’antiquité ; et le vieux Voss, tout en maudissant la France, introduisait le xviiie siècle tout armé dans sa Troie pédantesque. C’était la lutte du protestantisme et du catholicisme qui se retrouvaient tous deux sur le terrain de la science, et vidaient là leur dernière querelle. Ce grand monument de l’érudition allemande où chaque rêve avait trouvé sa place, ces superstitions du génie qui décoraient tout cet ensemble, comme un peuple de statues dans leurs niches, cette poésie plus vraie que l’histoire, il brisa tout cela, le serf révolté. Il ne laissa pas une idée debout sans lui rompre sa visière. Autant qu’il put, il fit de la science allemande, une science comme toutes les autres, nue, visible, mesurable, sans pressentiment, sans mystères, sans divination, une vraie science et non plus une religion, un temple protestant et non plus une basilique aux mille voix. Il ôtait au passé sa poésie, et il ne voyait pas qu’avec cela il tuait le présent. Il ne sentait pas