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sang, où le Te Deum de Leipsick montait sans peur dans sa cathédrale de fumée et de bruit ; et cette foi, la plus facile à garder, s’est dissipée à son tour avec la fumée des bivouacs. Restait au moins le culte de l’art. Celui-là avait toujours conservé son église. Mais Goëthe, le dieu qu’elle adorait, l’a détruite lui-même. Ainsi l’Allemagne est descendue dans le doute avec la même conscience qu’elle avait mise à monter dans la foi. Ce n’est point comme d’autres, par une chute d’un jour irrémédiable et subite, mais par une infinité de chutes et de courbes toutes formulées d’avance. Je la vois qui descend processionnellement dans le néant et scientifiquement dans le doute. Ses cathédrales à elles sont usées, non par le temps, mais par la prière et par les genoux des hommes. Elle leur met déjà au front le bandeau du mysticisme, comme aux mortes on leur attache à la tête des fleurs d’hiver. Ainsi, par une autre voie, elle est arrivée au point où le monde l’attendait. Et à présent sous des langues et des noms différens, l’Europe entière peut se vanter de vivre sous le même toit, c’est-à-dire dans le même vide ; et les voilà désormais toutes trois assises par terre, comme dans le Richard de Shakspeare, ces trois reines du monde moderne, la France, l’Allemagne, l’Angleterre, toutes trois tombées par des chemins différens du même trône de religion au même néant, de la même foi au même doute, du même ciel à la même terre, toutes trois s’entreregardant l’une l’autre, à moitié hébétées, sans leur Dieu accoutumé, elles si différentes de destinées, si semblables de misère, et prêtes à ricaner jusqu’au mourir de ce commun désappointement dans l’infini.

En France et en Angleterre, le doute a poussé son cri éclatant par Voltaire et Byron. C’est une étude que de rechercher comment il s’y est pris dans la littérature allemande pour se faire peu à peu son lit et sa demeure. Les mêmes déguisemens que les ames prenaient vis-à-vis d’elles-mêmes, la poésie les a subis ; et ce n’est qu’après bien des essais et des restrictions sans nombre que le mot a été prononcé. Il est arrivé de là que l’on n’a point connu ce déchirement subit qui a arraché ailleurs de si étonnantes plaintes. Le nœud des croyances a été lentement dénoué ; on tenait là en réserve des baumes pour chaque plaie. Il y avait une consolation pour chaque renoncement ; le cœur n’était point brisé d’un coup ;