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REVUE DES DEUX MONDES.

Pourtant, comme Dieu seul ôte et donne la vie,
Cette ame généreuse au monde fut ravie.
Napoléon pleura ; la grande armée en deuil
Vint le voir sous sa tente et suivit son cercueil ;
Et l’empereur fit plus, pour honorer sa cendre,
Que pour Éphestion n’avait fait Alexandre.

Les grenadiers à pied, aux larges revers blancs,
S’avançaient les premiers et venaient à pas lents,
Les fusils renversés, l’aspect sombre et sévère,
Les crêpes aux drapeaux, l’œil baissé vers la terre ;
Et les chevau-légers, ces braves Polonais
Qui versaient tous leur sang pour nous autres Français,
Pour nous qui n’avons su, dans sa grande agonie,
Qu’envoyer une aumône à leur pauvre patrie !

Et puis venaient des chants et de pieuses voix,
Le clergé de Paris avec toutes ses croix ;
Car, afin d’honorer si haute renommée,
L’empereur unissait et l’Église et l’armée.
Et le cercueil enfin entouré de drapeaux
Et tiré lentement par quatre noirs chevaux,
Et derrière le char, le cheval de batailles
Suivant le col baissé les belles funérailles ;
Et les tambours voilés, aux sombres roulemens,
Et le tam-tam d’Asie, aux aigres tintemens ;
Et moi qu’en ce moment le noir chagrin assiège,
Tout enfant, je voyais défiler ce cortège,
Et son aspect lugubre a bien dû m’attrister,
Puisqu’après vingt-cinq ans je puis le raconter.

Hoche, Lannes, Kléber, natures héroïques,
Beaux restes de courage et de vertus antiques !
Votre cœur était pur à l’égal de vos mains,
Le peuple, à vos soldats, venait par les chemins,
Sans jamais redouter le vol et la rapine,
Présenter le froment et la liqueur divine ;