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SOUVENIRS D’UN OFFICIER DE MARINE.

tait si attaché, mon cœur revint ; je n’eus plus la force ni la volonté de continuer, et, épuisé de tant d’émotions, je perdis entièrement connaissance,

Lorsque je repris mes sens, j’étais dans une hutte basse, enfumée, étendu sur un lit de feuilles. Mon chien, mon fidèle Sneezer, couché près de moi, léchait mes mains d’un air joyeux. Aux solives grossières du plafond était suspendu un canot, avec ses rames et ses instrumens de pêche ; à la muraille étaient accrochés un filet, des provisions, un fusil espagnol ; et près de moi était un cadavre enveloppé d’un grossier linceul de toile à voile, sur lequel je lus ces mots, écrits avec du charbon

Corps de John Deadye esq., commandant la Torche, corvette de Sa Majesté Britannique.

Sur le sol, et au milieu même de la cabane, brûlait un feu de broussailles et de débris de bâtiment ; un morceau de gibier, appendu à des bâtons, rôtissait devant ce foyer rustique, tandis qu’un Indien entièrement nu, assis sur les jarrets, et dans l’attitude d’une grenouille en repos, soufflait et attisait la flamme ; plus loin, en face, était le lieutenant Splinter, en chemise, pieds nus, affreusement maigre, l’air souffrant, défait ; et à travers une porte entr’ouverte, dans une espèce de bergerie, dormaient ou broutaient une demi-douzaine de moutons étiques. Le ciel était pur et bleu ; la lune éclairait la cabane de ses rayons d’argent. Scène confuse encore et délicieuse, mais que le bruit lointain du ressac et des flots, en venant frapper mon oreille, rembrunissait de lugubres souvenirs !

Le vent agitait doucement les branches des arbres ; leur murmure m’éveilla, et peu à peu la mémoire me revint. Je rompis le silence en tremblant.

— Que sont devenus nos camarades, nos compagnons d’infortune, monsieur Splinter ?

— Ensevelis dans les flots, engloutis, ainsi que la Torche ; et, sans la chaloupe, sans ce brave Indien, moi-même je ne serais pas ici pour vous donner de leurs nouvelles.

Alors le bon lieutenant, tournant les yeux sur le cadavre du capitaine, continua d’une voix émue :

— Voici le corps de notre infortuné capitaine, que j’ai retiré des