Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/332

Cette page a été validée par deux contributeurs.
328
REVUE DES DEUX MONDES.

seau étranger un objet terrestre et réel, avait repris son courage ; et nous distinguions clairement alors le pont du navire étranger, ses agrès blanchis par la lune.

— Pas un homme sur le pont ! s’écria le capitaine : c’est étonnant !

En effet, le pont était désert ; pas un être vivant ne s’y laissait voir, si ce n’est quelque chose d’informe et de noir qu’on voyait immobile à la poupe.

— Oh ! du schooner ! oh ! cria le capitaine.

Pas de réponse.

— Parlez, ou je vous coule bas.

Toujours même silence ; on ne répond pas plus à cette menace qu’on n’avait répondu au premier appel. Ce mystère, cette obstination, ce bâtiment glissant seul sur l’onde, et d’une manière surnaturelle ; ces ponts, ces agrès silencieux, déserts comme l’empire de la mort, tout cela fit renaître les craintes superstitieuses des matelots.

— Sergent Armstrong, notre meilleur tireur, à l’œuvre, et descendez ce coquin-là, sur la poupe, précisément en face de nous.

Le sergent, obéissant à cet ordre, saute sur le gaillard d’arrière, ajuste son arme, et mire quelques secondes ; mais, avant que son doigt eût pressé la détente, une décharge partie de la poupe ennemie lui fracasse la tête, et son cadavre roule à nos pieds.

Le capitaine alors exprima sa colère par une imprécation formidable.

— Maître canonnier, balayez-moi ce pont.

Et le vieux Nipper, que l’odeur de la poudre semblait ranimer, oubliant tout à coup ses tristes présages, se rendit joyeux à son poste.

Pendant ce temps le schooner faisait une fausse manœuvre, comme s’il eût voulu se rendre.

— Tirez, tirez, sacrebleu ! s’écria le capitaine : — c’est une ruse de guerre.

Nous tirâmes ; notre bordée fut violente, mais produisit peu d’effet. Le schooner vira de bord avec une rapidité si éton-