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SOUVENIRS D’UN OFFICIER DE MARINE.

Je sortis donc sans répondre, et d’assez mauvaise humeur au fond, quoique je me rendisse à mon poste en apparence de très bonne grace.

Le temps était gros, j’endossai ma vieille jaquette, j’armai mon occiput d’une bonne casquette de loutre, bien résolu de le défendre à toute outrance contre l’humidité de la nuit, et je commençai la malencontreuse faction. La pluie me battait au visage, pénétrait mes habits ; les vagues, en se brisant contre les flancs du navire, faisaient rejaillir l’eau jusque sur moi ; une phosphorescence singulière augmentait la transparence de l’onde de plus en plus tumultueuse. Fatigué d’une tension continuelle, ma vue se troublait ; je me retournai un instant, et je mis la main sur mes yeux, pour en reposer, en rafraîchir les fibres. Lorsque je les rouvris, je vis briller devant moi le plus singulier fantôme que jamais homme peu crédule ait vu s’élever devant lui : c’était la longue et pâle figure du vieux Kennedy, rendue plus pâle encore et plus terrible par une lueur bleue, scintillante, phosphorique, qui animait alors ses traits. Je tressaillis.

— Qu’avez-vous donc, monsieur Kennedy ? d’où vient cette réverbération bleuâtre qui éclaire votre visage en ce moment d’une manière si étrange ?

— Je ne suis pas savant, monsieur Cringle ; je doute néanmoins, oui, je doute que vos livres puissent vous expliquer ce mystère. Mais qu’importe ! soyez attentif, observez, et il en arrivera ce qui pourra.

Frappé de surprise, et, s’il faut le dire, de terreur, je levai les yeux, et j’aperçus à l’extrémité du mât de misaine une flamme météorique jetant une lumière pâle, verdâtre et chatoyante. J’avais lu des descriptions de ce phénomène, j’en avais souvent entendu parler, mais jamais il ne s’était offert à mes regards ; et, quoique la raison aussi bien que l’étude eussent dû me rassurer, ce spectacle inattendu glaça mon courage.

C’était en effet quelque chose de surnaturel et de mystérieux que cette masse circulaire, sphérique, lumineuse, au milieu des ténèbres les plus profondes, suivant les oscillations du navire, s’échappant, revenant, gardant néanmoins sa forme et sa position