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du Hollandais. Or ce Hollandais, ou, pour mieux dire, le Déserteur hollandais, est un bâtiment mystérieux et de mauvais augure, qu’on n’a jamais vu, qu’on ne verra jamais sans doute, et qui produit sur le matelot le même sentiment de terreur que Croquemitaine sur les enfans. Cependant les marins ne sont pas poltrons, je vous assure. Parfois, au milieu de ces scènes d’autant plus piquantes qu’elles ont la solitude et l’espace pour théâtre, la voix des tempêtes résonne tout à coup dans les airs, le sifflet du maître se fait entendre ; tous ces hommes indolens, apathiques, s’animent, s’agitent en tous sens, et le combat commence entre le faible esquif et la mer irritée, entre de chétifs mortels et les élémens furieux. Puis, quand le génie de l’ouragan a épuisé sa fureur, quand les élémens vaincus rentrent dans les limites qui leur sont assignées, le marin alors, jetant autour de lui des regards de satisfaction et d’orgueil, peut se dire, non sans raison : « Ma profession est la plus noble de toutes. » Telle était la carrière que j’avais choisie. Ces vaisseaux pavoisés s’éloignant majestueusement de la côte, disparaissant peu à peu sur le vaste océan ; ces nombreux navires de toutes grandeurs, de toutes formes, avec leur mâture élancée, leur voilure élégante et gracieuse ; ces mille chaloupes sillonnant les ondes, suivant les sinuosités du rivage, ou glissant sans bruit dans le bassin du port ; cette musique militaire que j’entendais du matin au soir sur les différens bâtimens de guerre ; cette vie aventureuse et variée du marin, tout cela m’avait séduit.

J’avais un parent qui, ayant servi long-temps et avec honneur dans la marine, avait acquis un grade élevé, récompense de ses longs services. J’allai le voir, je lui dis ma résolution. Comme tous les marins, le vieux loup de mer en fut enchanté, et il me donna des lettres de recommandation, avec lesquelles, me rendant à Portsmouth, il ne me fut pas difficile d’être admis au nombre des aspirans dans la flotte de S. M. Britannique… —


C’est comme tel que Tom Cringle s’embarqua sur la Torche qui allait croiser à l’embouchure de l’Elbe. Mais Hambourg était alors au pouvoir du corps de Davoust, et le jeune aspirant devint son prisonnier. L’entrée des alliés à Hambourg lui rendit la liberté ; il revint avec la Torche à Portsmouth.