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musculeuse et colorée sans excès ; là, tout nerf, là, toute flamme ; parfois semblable à une eau vive et limpide qui court, parfois à une robe de femme qui se déploie ; tour à tour rayon de lune ou ambroisie ! Nommer Rousseau, Pascal, Voltaire, Bernardin de Saint-Pierre ou Fénelon, c’est assez rappeler ces analogies délicates à qui les sent mieux que nous.

Si inférieur et inégal que semble le style de Mirabeau, le morceau le plus curieux des deux volumes publiés par M. Lucas-Montigny est peut-être encore une notice fort détaillée, écrite par Mirabeau lui-même sur ses ancêtres et en particulier sur son grand-père, Jean-Antoine, qui servit long-temps en qualité de colonel dans les guerres de Louis xiv. On ne saurait, avant d’avoir lu cette notice, se faire idée d’une race telle et si bien conservée que la postérité de ces proscrits de Florence, devenus Provençaux et Français. Le grand Florentin Farinata degli Uberti, ce type du magnanime orgueilleux, que Dante a placé dans son enfer, n’a rien qui surpasse en idéal de grandeur les descendans et chefs successifs de cette lignée des Arrighetti qu’il put bien avoir en son temps comme rivale dans les factions civiles de Florence. Le marquis Jean-Antoine en fut chez nous le Bayard et le Duguesclin. Pour les détails de sa vie et de ses aventures guerrières, il fallut à son fils beaucoup de soin et d’attention à se les procurer. Car ce n’était pas un homme qu’on questionnât, fier, imposant à tous, de près de six pieds, la tête haute et soutenue par un col d’argent qui remplaçait des muscles hachés, « un de ces hommes qui ont le ressort et pour ainsi dire l’appétit de l’impossible, et à qui la nature a déféré le commandement. » Dans sa vieillesse, même quand il racontait ses guerres, il ne parlait jamais de lui que pour désigner à l’occasion le jour et le combat où, disait-il il avait été tué. Au combat de Cassano, en effet, sous M. de Vendôme, il avait été blessé à la défense d’un pont, et l’armée ennemie lui avait passé sur le corps ; sa tête n’échappa que grâce à une marmite de fer que son vieux sergent Laprairie, en fuyant, lui avait jetée à tout hasard pour le protéger. Depuis lors il quitta le service et resta privé de l’usage de son bras droit, la tête, soutenue d’un collier d’argent. Il ne se maria qu’après cet accident, à quarante ans passés, et c’est d’un homme si mutilé que sortit encore cette géné-