Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 1.djvu/304

Cette page a été validée par deux contributeurs.
300
REVUE DES DEUX MONDES.

les détails de ces indigestions fréquentes dont se plaint un estomac qui vieillit : il y a dans les lettres de Mirabeau à Sophie des pages qui désenchantent bien plus encore. Je concevrais qu’un art délicat, sans le dire, eut altéré, omis, et quelque peu arrangé cette fin des choses. Faute de quoi, et tout en sautant de son mieux les délices sensuelles de l’un, en oubliant les indigestions finales de l’autre, on demeure encore reconnaissant pour de telles lectures.

La publication des mémoires de Mirabeau a été pour un grand poète l’occasion d’écrire une étude développée sur le grand orateur. L’écrit de M. Victor Hugo, imprimé et vendu à part, grace à la susceptibilité honorable, mais excessive, de M. Lucas-Montigny, a été déjà lu de tout le monde. C’est un morceau grandiose, tout éloquent, plein de tableaux ; l’orateur y est traduit sous vos yeux entouré de ses mille tonnerres ; c’est un de ces morceaux d’éclat où l’on marche d’imprévu en imprévu, où l’image toujours éblouissante et nouvelle surgit à chaque pas, plus soudaine, plus en armes que les légions de Pompée ; c’est une de ces sorties de talent qui gagnent des victoires sur les plus incrédules, qui marquent que les lions au gîte ont des ressources et des bonds qu’on n’attendait pas, et qu’il est des natures invaincues qu’on peut bien vouloir traquer, mais qu’on ne décourage guère. Beaucoup de gens s’appitoyaient récemment sur M. Victor Hugo ; les succès fatigués de ses derniers drames s’interprétaient en chutes ou du moins en échecs ; la critique avait eu contre son œuvre, contre sa personne, depuis quelques mois, de presque unanimes et vraiment inconcevables clameurs. C’était un hourra contre lui, c’était un accablement pour lui, on pouvait le croire. Point. Voilà qu’en une brochure écrite en huit jours reparaît ce talent puissant dans son allure la plus superbe. Ces sortes de natures opiniâtres et vigoureuses vont, trébuchent, s’accrochent, se relèvent, et donnent de perpétuels démentis à ceux qui en désespèrent.

Au commencement de sa brochure, M. Hugo indique sa sympathie vive pour ces grands et opiniâtres caractères du marquis et du bailli de Mirabeau, grands caractères en effet, transmis de père en fils dans la race, depuis les Arrighetti gibelins, émigrés de Florence en 1268 ; Mirabeau, le plus célèbre des Riqueti, (qu’on en juge), était de tous le plus dégénéré. C’est chez M.  Lucas-