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introduit qu’avec discrétion dans ces archives domestiques ; il rudoie l’honnête descendant, il le gourmande de sa parcimonie bourgeoise et de ses réticences, il est prêt à tout dévorer. Et le lecteur a raison, et M. Lucas-Montigny aussi, nous l’espérons bien, n’aura pas tort en publiant cette collection de lettres que tous les échantillons cités nous font juger inappréciables. Pénétré de la gravité et de la moralité du devoir qu’il acquitte, le biographe s’est interdit ce que tant d’autres en sa place eussent estimé une bonne fortune, et il n’a rien ajouté, quoique cela en deux ou trois endroits paraisse lui avoir été facile, à la liste déjà bien suffisante des aventures amoureuses de Mirabeau. En fait de scandale privé, M. Lucas-Montigny a eu pour principe de n’en mettre au jour aucun qui eût été nouveau, et il ne s’est exprimé que sur les échappées déjà notoires. Tout en prenant peu de goût à cette sobriété filiale par ce coin de curiosité maligne et oblique qui est dans chacun, nous ne saurions en faire un sujet de reproche à l’écrivain consciencieux. Nous trouverons seulement qu’il s’est quelquefois exagéré la gravité et la noblesse du genre biographique, lorsque, par exemple, il rejette expressément hors du texte et dans une note des citations de lettres qui ne lui font l’effet que d’une causerie légère et piquante (tome 1, page 378) : il faudrait donc à ce taux imprimer toutes les lettres de Mme de Sévigné en notes, comme indignes de la majesté d’un texte. Dans le récit, ou plutôt la discussion à laquelle il se livre, des amours de Mirabeau et de Sophie, nous craignons que M. Lucas-Montigny ne se soit grossi les inconvéniens de certains détails nouveaux, et que ses idées sur la dignité du genre n’aient ajouté un peu trop de rigueur à sa louable morale : « Nous pourrions, dit-il, donner une relation très circonstanciée de l’emploi du temps passé follement aux Verrières, de la route suivie par les deux amans quand ils se furent décidés à s’éloigner, de tous les accompagnemens de cet acte de démence et de désespoir ; mais un tel récit serait mélangé d’incidens scandaleux que nous rejetterons toujours, parce qu’ils sont indignes de l’histoire, parce qu’ils la dégradent, parce que même ils la font mentir puisqu’elle doit peindre les grands faits et non les passagers accidens de la vie des personnages dont elle s’occupe, les traits saillans de leur physionomie et non les difformités secrètes. » De telles maximes crûment