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MÉMOIRES DE MIRABEAU.

droit et devant la Providence qui règle le gouvernement de ce monde. On laissait aux enfans et aux écoliers cette pieuse parole que le poète a mise à la bouche du héros, compagnon d’Hector :

Disce, puer, virtutem ex me verumque laborem,
Fortunam ex aliis
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Le Saint-Simonisme bientôt alla plus loin dans la théorie des hommes providentiels qui ont toujours raison, en qui l’origine et la fin justifient les moyens, et qui marchent sur la terre et sur les eaux en vertu du droit divin des révélateurs. Sous une forme religieuse et derrière le velours du prêtre, c’était encore la même préoccupation, le même plagiat de Bonaparte, le résultat de la fascination exercée par cette grande figure. Il y avait bien d’autres choses neuves et considérables dans le Saint-Simonisme ; mais ce souci que j’indique a usurpé beaucoup de place. Il y a donc eu, et il y a en ce moment abus dans l’ordre de la parole et de l’imagination, comme auparavant dans l’ordre civil et politique. Il y a éloquence, poésie surabondante, comme il y a eu prodiges de valeur et coups d’éclat ; mais c’est la force encore qui tient le dé et qui gradue les jugemens. Qu’on ait marqué d’abord, qu’on ait été puissant et glorieux à tout prix en son passage, et l’on n’aura en aucun temps été plus absous ; on vous trouvera, à défaut de vertu personnelle, une vertu plus haute, une utilité et moralité providentielle qui est l’ovation suprême aujourd’hui. Cette disposition a pénétré dans les jugemens de l’histoire, elle prévaut dans l’art ; mais je ne saurais y voir qu’un retentissement de l’époque impériale, une imitation involontaire, développée sur la fin des loisirs de la restauration et perdue parmi beaucoup de pressentimens plus vrais de l’art de l’avenir.

Dans ses volumes récemment publiés sur l’Histoire de France, M. Michelet a senti en un endroit cette absence de soin moral qui caractérise le moment présent, si animé d’ailleurs, si intelligent et si vivement poétique ; il a exprimé son regret et son espoir en paroles ardentes qu’on est heureux d’avoir pour auxiliaires. C’est à propos des conseils pieux, donnés par saint Louis à son fils, et qui rappellent le mot tout-à-l’heure cité d’Énée à Ascagne : « Belles et