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DE L’INSTRUCTION DU PEUPLE.

Croyez-vous à la souveraineté du peuple et portez-vous cette foi dans l’étude de la philosophie et de l’histoire ? Alors la philosophie n’est plus pour vous un divertissement de l’école, une série d’abstractions inanimées, une manière de distraire les esprits en les abusant ; on ne sépare plus les vérités métaphysiques des conséquences sociales ; on aurait honte de la faiblesse ou de la perfidie d’un schisme semblable. La philosophie devient, pour celui qui croit à la souveraineté du genre humain, la modératrice naturelle des sociétés, la source éternelle où se baptisent et se régénèrent les religions, la somme, la formule et l’application de toutes les sciences. La philosophie n’est plus seulement une méthode, mais une conquête ; non-seulement une étude, mais une pratique ; non-seulement une spéculation, mais un gouvernement. On est homme enfin ; on n’affuble pas ses épaules du manteau de sophiste, et on apporte au peuple des idées fortes comme des armes destinées à ne pas ployer. L’étude de l’histoire n’a pas moins besoin que la philosophie de la croyance à la souveraineté des sociétés qu’on n’enferme plus dans un cercle fatal, quand on les sent progressives et maîtresses d’elles-mêmes. Vico fut novateur il y a cent ans, en rassemblant toute l’histoire pour la faire aboutir aux vérités formulées par le catholicisme, en enfermant l’humanité dans des cercles qui se multipliaient comme les replis du serpent mystérieux. Mais aujourd’hui le serpent s’est déroulé, et il trace aux yeux des nations une ligne droite. Si donc il y a dans les destinées humaines une direction fatale, comment en être l’historien sans croire à la loi qui les pousse ? Mais faut-il se contenter d’une foi tiède, vague, plus vaporeuse que claire, plus intermittente que continue ? Faut-il repasser sur les traces de la scienza nuova qui aujourd’hui n’est plus nouvelle ? Faut-il entrecouper le récit des choses humaines par des gémissemens ? Non, mille fois non. C’est dégrader l’histoire que de la faire pleurer, de l’ensevelir dans les catacombes ou dans les cloîtres du moyen-âge, et de se faire l’écho de vieilles douleurs. Vous lamenterez-vous plus éloquemment que Jérémie ? Éclaterez-vous par de mystiques indignations, plus véhémentes que celles de saint Bernard ? Prenez les sentimens de votre siècle et non pas ceux du douzième. Sans doute il y a au fond des choses humaines de la tristesse et du mysticisme. Mais ces deux mystères de l’humanité